- Le corps est devenu l'obsession du monde contemporain. L'individu normal ne suffit plus, on assiste à une course au corps parfait, un corps avec des critères définis par les valeurs esthétiques en vogue. On voudrait faire de nous des machines, des organismes artificiels façonnés selon les goûts de la mode et de la publicité.
- Vous avez prétendu que personne ne lisait mes livres. C'est en partie vrai. Mais je suis l'auteur d'un essai sur la prison : La Machine à broyer. Cet ouvrage a obtenu un franc succès lors de sa sortie. J'y expliquais que la prison sert à donner l'illusion qu'à l'extérieur nous sommes libres. Je pense que l'incarcération fournit une excellente preuve de l'arriération de nos us et coutumes. Pour les sociétés que nous qualifions de primitives, l'enfermement est une pratique barbare, qui leur inspire un profond dégoût. Un système qui choisit d'enfermer ses citoyens avoue sa peur et son impuissance. […] La valeur de l'exemple est un mythe. Si la prison avait un quelconque pouvoir de dissuasion, la criminalité aurait diminué jusqu'à disparaître. La peine de mort n'a jamais empêché le moindre meurtre, elle n'a fait que laisser la population assouvir ses penchants sadiques en toute légalité. La solidarité, voilà le seul traitement efficace contre la délinquance !
- 10... 9... Le point va s'éloigner lentement de votre front...
- Le noir derrière vos paupières devient bleu et lumineux. Suivez cette lumière bleu aussi loin que possible.
- 6... 5... Vos yeux suivent la lumière.
- Vous baignez désormais dans des forces que personne ne contrôle, souriez et remerciez l'avenir pour tout ce qu'il va vous apporter de bon.
- 1... 0.
Selon son habitude, en guise de réponse, Rebekah Valère se contenta de s’emparer de l’entonnoir et de l’urinoir pour femme en col-de-cygne. Allongé sur ses coussins de velours, l’animateur tremblait d’excitation en tétant le plastique entre ses lèvres et en sentant le liquide chaud, âcre et puant s’écouler dans sa gorge. Son épouse, tout en libérant des flots d’urine, ne rêvait que d’une seule chose : que cette créature sociopathe disparaisse de sa vie à tout jamais !
Il restait muré dans son silence et débusquait les insectes rampants qui avaient peu à peu envahi la cuisine et le salon. Il ne s’agissait pas de stupidement écraser des cafards du bout de la semelle. Non. Ces insectes faisaient partie d’un processus défini, ils étaient les candidats de son émission à lui, de SON Psychodrome.
La « machine à philosopher » n’était rien d’autre qu’une grosse poitrine où ils allaient devoir plonger leur tête pour dénicher des friandises et déblatérer la bouche pleine. Une plaisanterie digne d’un minable enterrement de vie de garçon. Le futur devenait décidément trop lourdingue à leur goût.
Les canulars ne vont jamais si loin. La puissance du signal qui les avait neutralisés prouvait qu’il s’agissait d’une expérience dont ils seraient les sujets. Ils avaient intégré malgré eux un nouvel environnement aberrant pour servir d’insectes sociaux. L’idée qu’ils aient pu opérer un bond dans le temps pour un motif aussi futile que la participation à une émission télévisée leur parut invraisemblable.
— Nous voulons du show, de la tragédie. Les voyeurs et les vicelards doivent en avoir pour leur argent. Jamais une émission n’a été aussi immorale que la nôtre.
Tout devenait si flou, si alambiqué… Ce fatras temporel lui donnait le sentiment de n’être qu’un étranger perdu dans un monde avec lequel il ne gardait plus aucun lien. Il lui semblait que tout aurait été moins compliqué s’il avait été simplement fou : un schizophrène, un paranoïaque persuadé que la réalité n’était qu’une falsification ; que toutes les mémoires, hormis la sienne, avaient été effacées.
Zenher se sentait désormais aussi vulnérable qu’une mouche posée sur le mur du temps.