"Cela se passait à Londres, durant l'avancée de la construction du métropolitain. Préparer la naissance du train souterrain était une entreprise titanesque et les chantiers tenaient des forges de Vulcain : on y respirait fort mal et il s'en dégageait une lumière sourde vaguement teintée de feu qui aurait suffi à rendre claustrophobe n'importe quel rat d'égout. Cette nuit-là, Manfred Gladstone et son ami Wolfgang Bloodpint, deux charmants jeunes hommes d'une trentaine d'années, furetaient dans les galeries à peine esquissées à la recherche d'une pensionnaire évadé de l'asile psychiatrique." Page d'ouverture - Chapitre 1
Wolfgang aimait les livres comme certains aimaient les femmes : passionnément. Tenir dans ses mains des encyclopédies, des grimoires ou des romans le remplissait de joie et faisait battre son coeur comme celui d'un prétendant courant retrouver sa belle.
Non pas qu'il eût jamais des nuits paisibles, mais il rêva d'étranges choses, de créatures doubles, identiques ou dissemblables, mythiques et humaines : "Car les hommes ont deux âmes," lui disait en songe Nathanael Cousins, qui avait été leur guide sur le nouveau monde.
Il s'éveilla troublé, et fut quelque peu contrarié de voir que Manfred n'était pas là car il aurait souhaité évoquer avec le jeune psychiatre ces étranges digressions oniriques qui semblaient des présages.
Dans un froufroutement d'étoffes métalliques, la petite statuette bondit avec grâce sur son oreiller et déposa un léger baiser sur chacune des paupières du jeune homme. Puis elle remonta sur la table de nuit. Sur ces entrefaites, Mademoiselle Wilhelmine entra doucement dans la chambre. Elle jeta un regard amusé à la carafe d'absinthe encore pleine sur un guéridon, se saisit de la statuette maintenant immobile, la glissa dans un repli de sa robe, remonta tendrement les couvertures sur Wolfgang et ressortit.