Parfois, une vie peut être longue, même si elle compte peu d'années. Tout dépend de ses drames, ce sont eux qui étirent les jours. Quant au poids d'une existence, il se mesure en douleurs, hélas, inexorablement. Le bonheur, lui, est un ensemble de légèreté, une bulle d'air parfumée, un impalpable souffle salutaire.
Je compris ce jour-là que l’identité propre d’une femme se résume à son prénom, son nom étant toujours celui d’un homme.
- Vous risquez gros.
- C’est le lot de tout être vivant, Commissaire. L’existence elle-même est un risque à prendre. (p.235)
Ses coups de pieds me faisaient presque aussi mal que ceux de Jean-Mathieu. L’un frappait dehors, l’autre dedans. L’intrus affichait sa puissance en me martelant le ventre, il me rappelait jour et nuit qu’il tenait bon, qu’il me volerait ma liberté.
[...]
Instinctivement, tel un animal sauvage, j’ai amené sa tête sous mon nez. Je l’ai reniflé. Mes lèvres touchaient sa chaleur. Sans m’en rendre compte, j’ai posé un baiser sur son front. Hors de moi, l’intrus se transformait en enfant. Hors de moi, il possédait une existence propre, une individualité surprenante, inexplicable. J’osais à peine le regarder. Il gigotait de tous ses membres entravés. Hors de moi, ses coups de pied ressemblaient à des caresses.
Je compris ce jour-là que l’identité propre d’une femme se résume à son prénom, son nom étant toujours celui d’un homme.
L'héroïsme se mesure avant tout à la conséquence du geste posé.
Le puzzle commençait à prendre forme. Les contours placés définissaient le tri des pièces à poser à l'intérieur en partant du bas. Les emboîter une à une, en remontant peu à peu vers le haut, recréer l'image entière du ou des coupables.
J’ai épousé le comte Jean-Mathieu de Brizan du Puy le 17 juillet 1937. C’était un samedi, il faisait beau, j’avais dix-huit ans. Contrairement aux rumeurs en circulation, c’était un mariage d’amour. Je me souviens pourtant d’avoir éprouvé un pincement au cœur en comprenant que par ce mariage, je renonçais au nom de mon père, si approprié à sa personnalité : Gentil. Un autre homme allait prendre soin de moi, un autre patronyme signalerait mon appartenance. Je compris ce jour-là que l’identité propre d’une femme se résume à son prénom, son nom étant toujours celui d’un homme.
Un étrange pressentiment glissa le long de la colonne vertébrale d’Antoine. Il pencha la tête au-dessus du trou, le chien s’immobilisa. Il fixait son maître, l’œil fier, attendant une récompense. Antoine le remarqua à peine, il tressaillait dans son manteau. La première image qu’il vit, c’est la plante d’un pied humain émergeant de la terre noire. Ce pied, tordu à l’extrême, tenait à une cheville alignée sur un tibia entaillé à plusieurs endroits. Rapidement, il reconnut le pied d’une femme. Le reste du corps se devinait sous des lambeaux de tissu laineux. Gamin reprit ses aboiements, comme s’il indiquait la marche à suivre. Avec la branche, Antoine écarta doucement les morceaux de couverture. Le cadavre atrocement mutilé d’une jeune fille apparut.
Antoine faisait partie des chanceux revenus vivants des champs de bataille. Chanceux, ça, c’était le qualificatif attribué par les civils. Lui, il comparait plutôt sa survie à un fardeau, un baluchon pesant soudé à ses épaules, à l’intérieur duquel il coltinait le visage de la mort. La guerre avait transformé le jeune homme insouciant en adulte désabusé et misanthrope.