L'incertitude de l'aube

Je souffre. Je souffre. Je m'énerve. Si j'ai encore des larmes, elles coulent vers l'intérieur. Me brûlent. Je voudrais être un petit enfant qui fait une colère, qui se jette à plat ventre et frappe le sol des mains et des pieds, en criant,, en secouant la tête de gauche à droite et en éclaboussant de larmes et de bave tout ce qui est autour de lui. Je n'en peux plus. Je vais me lever et sortir. Tant pis s'ils tirent. Je ne m'en rendrai peut-être pas compte. Je mourrai, tac. Ce serait la fin.

Autour de moi, j'entends qu'on répète le mot "terroriste". "Miléna, c'est quoi des terroristes ? C'est pas pareil que des fascistes ?" Elle demande à sa maman parce qu'elle ne sait pas non plus. Sa maman souffle vite entre ses dents sans la regarder : "C'est des méchants." Oui, mais des méchants comment ? Des méchants qui ouvrent le ventre ? Des méchants qui tuent ? Qui tuent qui ?

Un terroriste s'approche avec son fusil pointé. Il y a un CLAC très fort et d'autres en rafales. Le monsieur fait un saut en l'air, sa tête bascule en avant puis en arrière. Et il s'écroule par terre. Ne se relève pas. Le sang coule par terre, autour de lui. Ca fait une flaque toute rouge qui s'agrandit doucement, comme la mer qui remplit le château de sable.

Grand père, viens me chercher. Viens me chercher, je t'en supplie. Tu diras : Ma petite Anushka, tout va bien, on rentre à la maison.

J'irais me baigner, et je ferais semblant de me noyer pour boire toute l'eau que je pourrais. Je tomberais au fond, mais ça ne serait pas grave parce que je pourrais respirer sous l'eau et rencontrer le brochet du conte et alors il exaucerait mon voeu que tout cela s'arrête qu'on retourne tous à la maison. Et que le monsieur mort se relève et qu'il ait juste à aller chez le teinturier pour nettoyer sa veste. Et la robe d'Irina. Et on ferait une grande fête, avec un immense feu de camp qui monterait jusqu'aux étoiles. Et dedans on jetterait les armes. Toutes les armes.