AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Krout


Krout
10 février 2021
"- Avec toutes leurs expériences à la con, reprit une voix au bar, c'est bien possible qu'ils aient encore fait une grosse bourde et qu'ils aient lâché la maladie dans la nature. Tiens, les algues vertes tu sais d'où elles viennent les algues vertes ?
- Ouais, répondit un type. Et on ne peut plus les rattraper maintenant." p.181-182
"Un risque de psychose collective en vue, vaste comme une montagne." p.126
Ce sont ces deux extraits qui ont motivé mon cousin à m'offrir ce bouquin avec l'injonction : lis-cela c'est d'actualité ! Et puis le faux-pas : tu connais Fred Vargas, au moins ? 🤪Chouette, l'assurance d'un bon moment, lui répondis-je.


Un coup d'oeil sur Babelio. 303 critiques. Ben oui, prix des libraires en 2002. Donc je pars tard, sortant de ma carapace, contrairement à la célèbre fable, bien après tous ces lièvres et autres Vatanen engagés dans ce rallye littéraire sans même s'apercevoir qu'il s'agissait d'une dystopie, d'un conte prémonitoire, d'une fable réaliste avec une morale. C'est facile de glousser et se gausser après la survenue de cette grande panique collective surmédiatisée. Vrai, l'on ne peut pas toujours anticiper les événements comme je l'avais fait le 7 dec. 2019 en conclusion de ma critique du hussard sur le toit. Mais là, il s'agissait du choléra. Bref parlons littérature et revenons vite sur cette lecture Adamsbergienne.


Non, littérature n'est pas galvaudé ici : on peut carrément parler d'un style Vargas, d'un univers Vargas très reconnaissable et d'autres qualités "y afférentes". D'abord comme son prénom masculin le laisse suggérer cette auteure pratique le transgenre littéraire et traverse les frontières dans une époque normative à l'excès. J'aime cette liberté, cette singularité, ce défi, toute norme n'étant jamais qu'une porte grande ouverte sur l'arbitraire. Et puis il y a la psychologie de ses personnages, tous singuliers eux aussi, sans en devenir pour autant caricaturaux ou manichéens. Certes, mon ami Dourvach m'arguerait moins complexes que ceux de Simenon. Eh bien, je me méfierais et j'ai l'impression que leurs évolutions nous réserveront de belles surprises. Soit que l'auteure n'en dévoile les facettes que petit à petit, soit qu'elle découvre elle-même toute leur richesse au fil de l'écriture de leurs aventures. Là-dessus vient se greffer la sociologie fouillée d'un quartier parisien hors de l'ordinaire dont la vie bat au rythme des annonces d'un crieur de nouvelles et de la cloche du déjeuner d'une brasserie de la place. Fascinant microcosme.


Grand plaisir de renouer. Ma dernière rencontre remontait avec Debout les morts, lu dans des conditions où je n'avais pas toute ma tête. Donc pour celui-là je ne me prononce pas, mais ici je me suis régalé de bien belles qualités nutritionnelles mon cher Pascal (TerrainsVagues). Il faut dire que je suis Adamsberger, j'en ai tous les syndromes. de l'illumination sur ce chemin de Damas, aux pensées, issues de fulgurances pédestres ou zébrant mes nuits tel le soleil se réfléchissant sur un diamant, que je tente de rassembler dans cette chronique, aux connexions multiples, spontanées et inexplicables avec des faits en apparence, mais en apparence seulement sans liens, jusqu'à un détachement frôlant l'indifférence, et enfin la non mémoire des noms : il aura fallu des dizaines de pages après l'apparition de Marc Vandoosler, historien médiéviste de profession, pour que je reconnaisse cet évangéliste.


Et puis, sans vous mettre la puce à l'oreille on en apprend toujours avec Fred Vargas comme sur ces Nosopsyllus fasciatus, sur cette peste erronément qualifiée de noire à cause d'une mauvaise traduction, ou encore sur l'origine d'offrir une bague ornée d'un diamant lors des fiançailles. Tiens ceci : "3 décembre 1920 "Le sénat a consacré sa séance d'hier à la maladie n°9. Qu'est-ce que la maladie n°9 ?" [...] cette petite note d'histoire rappelle utilement aux citoyens que l'Etat a ses vérités que la vérité ne connaît pas et qu'en tous les temps, il a su manier l'art de la dissimulation" p.203 Ou encore cette petite séance de psy des plus intéressantes. Enfin, il y a cet humour subtil et bienveillant qui affleure sans ostentation, toujours à bon escient et, à ne pas dédaigner non plus, cette petite touche de surréalisme émergeant çà et là ; je lui donnerais bien une ascendance belge dans sa lignée, en guise de promotion quoi ^^. Et la tendresse, bordel ! Oui, cela m'enchante surtout, car comme le chantait si bien Bourvil vivre sans tendresse, non, non, non, on ne le pourrait pas. Ah cette tendresse pour chacun de ses personnages, quelle bouffée de chaleur. Les méchants aussi font partie de l'humanité chez Fred Vargas et les coupables ne le sont qu'en partie, les victimes pas toujours innocentes non plus.


Mais quelle est donc la leçon de cette lecture Adamsbergienne, la valeur nutritionnelle de cette dystopie intuitive ? Eh bien, la voici enfin. L'inconscient collectif est tellement marqué par la peste noire qui en 5 ans décima un tiers des Européens au XIVème siècle que le moindre épiphénomène y ressemblant, ne serait-ce que très vaguement, engendre très rapidement une série de réactions émotives et de psychoses au point que notre cerveau reptilien en vienne à dicter les comportements dans un environnement de peurs plus fantasmées que réelles et d'inhiber collectivement l'examen rationnel des faits au profit de prises de positions idéologiques basées sur des croyances ancestrales. "Qui dit crédulité, dit manipulation et qui dit manipulation dit calamité. C'est la plaie de l'humanité, elle a fait plus de morts que toutes les pestes entassées." p.207 Par un de ces hasards spatiaux-temporels qui croisent plus souvent qu'à son tour la route du commissaire tout autant que la mienne, tant que dans un roman certains lecteurs finiraient par le qualifier de capillotracté, alors qu'il s'agit d'une réceptivité particulière, ne voilà-t-il que je tombe sur ce lien https://www.youtube.com/watch?v=YPW7rDmnH6g commentant de manière très éclairante le discours de la Boétie sur la servitude volontaire, d'une brûlante actualité mais hélas ayant moins imprégné les esprits que le souvenir de la peste.


Allez, à bien vite !
"Adamsberg se blasait, accroissant ses vastes capacités d'indifférence pour lutter contre cette marée montante." p.230
Commenter  J’apprécie          497



Ont apprécié cette critique (47)voir plus




{* *}