Elle ressortit son leitmotiv :
— Existe-t-il des Blancs plus Indiens que certains Indiens et des Indiens plus Blancs que certains Blancs ?
— Impossible, riposta-t-il d'un air condescendant alors que les Cris quittaient la tente. Qui est Blanc ne peut être Indien.
— Et l'Esprit alors! Qu'en faites-vous ?
— Vous ne pouvez pas comprendre.
— Et ceux dont la mère est Blanche et le père, Indien?
— Ils ne sont pas de vrais Indiens.
— Croyez-vous qu'une âme peut revenir sur la terre dans un autre corps?
— Je refuse de parler de cette question. Les Blancs ne peuvent pas comprendre. La preuve est que tous sont réunis ici afin de régler les problèmes causés par les Blancs.
À son avis, les Blancs débusqués du Cercle de la vie avaient oublié leur origine indigène. Clairvoyante à l'ombre de la contradiction, Christine s'abîma dans cette dernière affirmation de l'autochtone qui posait par ailleurs l'existence de deux mondes irréconciliables, celui des Blancs et celui des Indiens. Écartelée entre ces mondes, douée d'empathie, elle s'enlaçait les pensées d'autrui dans le corps à corps énergétique de la communication.
Sous ses paupières, un ballet de motifs géométriques. Puis un ciel de nuit en pulsation, criblé d'incalculables étoiles. « Oh! » s'exclama-t-elle. Le son de sa propre voix l'émerveilla. Elle sentit par la suite l'ayahuasca entamer une percée dans sa gorge. Il frappait de légers coups précis contre son larynx pour se tracer une voie. Alors, elle vit une cathédrale d'or, un château d'émeraude, les trésors et les transes de son enfance. Subjuguée, elle n'entendit pas le torrent gronder et remonter au bord de ses lèvres. On la saisit par le bras pour l'entraîner vers l'extérieur de l'enceinte. Elle n'eut pas le temps de se pencher contre un muret et de dégobiller dans les fleurs d'un jardin intérieur, sous la rondeur neutre d'une lune dans sa croissance absolue.
Après avoir éprouvé une nausée désagréable, son psychisme se mit à produire des phénomènes incontrôlables, d'une puissance effrayante, sans comparaison avec les effets lumineux de ses séances de méditation. Des rayons fusaient, des vortex énergiques tournoyaient. Le végétal s'insinuait-il dans ses neurones pour forcer violemment leur expansion? Son cerveau pouvait-il éclater sous l'effet d'une bourrasque de lumière?
... Nous sommes des personnes, nous avons un coeur, des sentiments. Nous avons une âme à sauver... Nous ne sommes pas ici en promenade, nous sommes ici pour travailler. Je suis fier d'être un Indien, je vis dans la ville, mais je n'ai pas perdu mon identité. Ils veulent prendre des photos de nous ou ils veulent nous aider?...
— Curieux... comme le plaisir et la douleur se rejoignent. Tu avais mal alors que j'avais tant de plaisir. Ce n'est pas mon habitude de perdre la tête comme ça. Tu dois l'avoir provoqué.
— J'ai l'impression d'avoir oublié quelque chose...
— Quoi?
— Ma douleur.