Le marcheur d’eau…
Extrait 2/4
Du vaste paysage autrefois immergé s’
Elève une plainte dont nul ne connaît l’origine
Exprime-t-elle ce que les hommes nomment : la
Douleur ? Dit-elle ce, qu’à eux-mêmes, se cachent
Les peupliers serrés comme autant de frères au-
Tour de la dépouille du père Et qui geignent !
Disant l’angoisse ancestrale des pays plats
devant la montée de l’eau Ah ! Tous ces arbres
Dressés à l’intérieur même du fleuve Que je ne
sais pas voir mais dont je sens la solitude
Tels les grands crucifiés à l’angle des plaines !
…
On dirait qu’une ampoule immense et blanche
au ciel
lentement
se balance.
Ô ! Toutes ces îles vides qui dérivent.
Ô ! Ces bras du fleuve transformés en étangs
et notre solitude visible sur la carte.
Comment ne pas avoir peur ?
On apercevait les silhouettes des vivants
Ça ! Comme on les distinguait derrière les vitres !
Une famille Dans cette pièce Autant de meubles et
De fleurs que d’êtres humains Et nous, dehors
A se tasser ! A se serrer afin de mieux
Voir ! Pensez : tant de non morts encore !
Pourquoi aurions-nous dû céder notre place à
Moins incurablement tristes que nous ?
Enfouis dans la glaise Dans la vase Implorant ceci :
Voir ! Des vivants ! Une fois encore !
L’eau Toute l’eau L’eau encore elle L’eau de
toujours suffira-t-elle cette eau à laver le
marcheur de ses fautes ? Dans un calme propre-
ment effrayant Le ciel et l’eau ne me dites pas
qu’ils vont s’absorber ! Que l’un et l’autre vont
copuler et, d’extase, se retourner, se vautrer faire
pleuvoir ! Tout est si calme On n’entend que les
pas du marcheur à l’idée fixe : toute cette eau y
parviendra-t-elle ?
j’en appelai à ma fatigue ! que je calmais, trouvant ces mots que souhaitent entendre les enfants illettrés, ces esprits orphelins en tablier noir que j’aimais, ah ! comme ma propre enfance fut inquiète et songeuse
j’en appelai à ma fatigue ! je la vis tel un grand cheval bai crachant l’épais sang noir ô malédiction d’être cet homme fort et trop sensible, ô craquement des os, des ligaments, quand un simple talus devient montagne
j’en appelai à ma fatigue ! vous ai-je parlé du froid, du givre, de l’œil glacé qui, dans le ciel, me regardait, me consolait, m’avertissant pourtant que tout destin flotte, tournoie, par l’eau est aspiré et, bientôt : coule.
Et l’eau, dites ? Si vous pensez qu’il suffit d’une porte de cimetière pour l’arrêter, alors autant retourner à l’arrachage de vos pommes de terre marines. Je ne comprenais pas. Je ne saisissais rien. J’étais heureux / malheureux et j’en apercevais de fortes, de belles têtes qui, de tous temps, avaient su résister à la débauche, la pénurie, la facilité que sais-je ? Voici le corps social malade qui tousse, se mouche, se cabre, déchire l’ordonnance puisque nous sommes, désormais, sortis de l’aire de jeu. Misère. Je ne savais plus ce que je devais dire à ce fleuve très ambigu question pauvreté. J’étais arrivé là comme un ami. On fit de moi un roi et, les premiers jours surtout, personne ne remarqua ma bosse. Pourtant, elle m’avait gêné pour pénétrer, nuitamment ai-je dit, dans ce département. Usines vides. Closes sur un passé prestigieux me souffla le concierge. Nord ! Ça envoie ses enfants une journée dans les dunes. C’est plat, ce que c’est plat mais qui s’en plaindrait, eh, marcheur !
Le marcheur d’eau…
Extrait 1/4
…
J’ai droit au repos du cheval journalier Dé-
dormais je ne partirai plus vers quel labeur
Et je suis ce centaure qui s’éveille et geint
Autour de lui les aveugles s’affolent craignant
Ses ruades Ô grand cheval qui, autrefois, tractais
vers la berge les navires, te voilà effacé Il ne
demeure de toi que ce signe sur cette feuille
Sont-ce tes traces dernières ? Ta signature de sabot ?
Ébroue toi ! Redonne-moi confiance ! Plongeons en-
Semble Je saurai bien te faire retrouver cette joie
enfantine que tu poursuis sur la rive noyé à demi.
…