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EAN : 9782715232396
176 pages
Le Mercure de France (19/01/2012)
4.5/5   6 notes
Résumé :
La mer du Nord autour d’Ostende, Rusbroec l’admirable, adossé à son arbre dans la forêt, la lagune vénitienne s’abandonnant à la beauté de chaque coucher de soleil, Dante et son Enfer, puis soudain l’irruption des Barbares. Voici ce qui est à dire. C’est sur cette phrase que s’appuie le narrateur. Celui qui prend la parole. Et, sereinement, dit.
Qui est-il ? On pourrait penser qu’il est lui-même soldat. Un guerrier stratège qui aurait connu autrefois l’a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Pour les philosophes romains, la vieillesse devait être le temps de la sagesse et de l'apaisement, un doux passage vers la mort. Dans notre monde moderne et consumériste, au contraire, la vieillesse est présentée comme une deuxième vie qui nous permet de réaliser enfin tous nos rêves. le retraité se doit d'être en forme pour escalader les montagnes et s'éparpiller en mille activités. le sourire lumineux comme à vingt ans, il mourra les crampons aux pieds.

Mais pour la plupart d'entre nous, entrer en vieillesse, c'est simplement apprendre à renoncer. Il faut accepter un à un tous ces petits abandons du corps qui nous clouent sur place. On va moins vite et moins loin et on ne voyage plus, si ce n'est dans le monde perdu de l'enfance. le coeur a tant souffert qu'il est devenu comme un vieux bois sec et la source des yeux, pour certains, s'est tarie. Alors, sans réponses et parfois sans amour, ne restent que la colère et une indicible angoisse devant l'éternité qui s'annonce.

"Que répondre à un homme qui, à la fin de sa vie, estime avoir été floué?" demande Franck Venaille. "Tout m'est blessure. Je ne sais plus que faire pour vivre mieux."

Ecrit six ans avant sa mort, "C'est à dire" est l'un des derniers recueils du poète. Un livre testament? Peut-être pas, mais un livre qui fait la somme de ses tourments et de son art. Arrivé à plus de 70 ans, le poète est dans l'urgence de dire et d'écrire encore. En aura-t-il le temps?

"La bouche close, nous faisons face à la barbarie et la mort, parfois, nous fait cadeau d'un peu d'eau. Que renaisse le dialogue! J'ai tellement besoin de dire ce que j'ai toujours tu. Ce couloir sera-t-il assez long?"

C'est une longue promenade à laquelle Franck Venaille nous invite, se livrant avec une rare sincérité et faisant de nous ses complices. Sur son lit d'hôpital, il nous dit la douleur de la chair et celle de l'âme qui parfois se fondent en une même intense souffrance. Cela donne lieu à d'incroyables trouvailles: "Le corps est lourd surtout quand il faut, dans la nuit, le tourner dans un lit. (...) je suis malade de la mélancolie des muscles".

Ainsi, nous le suivons volontiers dans ses souvenirs d'enfance et dans ces paysages de Flandres qu'il aimait tant et que j'aime tant. La mer du Nord, les plages d'Ostende et de Blankenberge, tout m'est revenu à la lecture de ces poèmes qui disent le gris et le jaune de ses eaux et la lumière si particulière de son ciel qui livre le coeur à sa mélancolie. J'ai longtemps cru que Franck Venaille était belge tant il savait chanter la tristesse et la beauté des campagnes flamandes et de l'Escaut. Mais il était français, né à Paris, le coeur flamand.

J'ai bien sûr été éblouie par la maîtrise et la beauté de l'écriture mais j'ai surtout été admirative de la façon dont Franck Venaille a construit son recueil. Parvenu à la fin du livre, il écrit ceci:

"J'avais aimé, haï d'assez près
J'avais pleuré grand misère
Le monde est mauvais je le sais."

Que de désespoir et d'amertume dans ces trois vers mais quelle fulgurance! Franck Venaille avait servi son pays pendant la guerre d'Algérie et les horreurs de cette guerre étaient pour lui inoubliables. D'oeuvre en oeuvre, elles revenaient le hanter. Mais il n'est pas interdit de penser que Franck Venaille avait aussi vécu une vie d'homme, tout simplement, et que cela peut suffire à nourrir bien des regrets.
Il est à craindre que le poète n'aie finalement pas trouvé l'apaisement avant de quitter ce monde mais il nous laisse la douloureuse empreinte d'un homme qui, s'étant souvent perdu, se sera néanmoins cherché jusqu'au bout.

"égaré dans la nuit
dans ce qui est

l'obscur complet
j'avance lentement

me tenant par la main"





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Disparu en 2018, Franck Venaille fait aujourd'hui encore partie des grandes figures de la poésie contemporaine. Auteur d'une importante oeuvre poétique débutée en 1966, récompensée de plusieurs prix littéraires, c'est au travers de son recueil Requiem de guerre que j'ai fait sa connaissance. Après cette lecture d'il y a quelques années, je m'étais promis de revenir vers sa poésie. Je le retrouve aujourd'hui avec C'est à dire, un recueil paru en 2012 aux éditions du Mercure de France.

L'écriture de Franck Venaille reste toujours aussi discrète et sensible, variée (on va du poème court en vers libre au texte en prose plus ample, avec parfois le recours aux caractères en italique), avec dans chacun des textes une rythmique très particulière mais qui préserve l'unité de style.

Le sentiment qui domine dans ce recueil, c'est celui de la précarité, de la fragilité des liens qui nous unissent au monde, à notre passé, un sentiment dans lequel la nostalgie et l'inquiétude sont toujours présentes.

« Je vous regarde rouler à même le sable
enfants de mon enfance triste
quand sur vos bicyclettes d'un beau noir de
Flandre
vous montez à l'assaut des dunes
tandis
que
dans cette fin de journée passée à
Me souvenir, enfants, de vous
J'
entends les cris les rires les disputes
Puis
larmes dans la gorge Je laisse
l'eau baute
en sa décrue
emporter avec Elle
ces sons d'autrefois qui
aujourd'hui encore
tant
me
font
souffrir »

Dans des thèmes aussi variés que le passé, l'enfance, la mer du Nord, la présence féminine, la guerre, la religion ou encore la poésie, l'auteur révèle l'image d'une conscience un peu égarée mais qui cherche comme un point d'arraisonnage, une solidarité contenue dans le langage.

« C'est-à-dire
qu'il suffisait de voir la mer se lever
dans des sortes de morsu-
Res de vagues
avec l'écume (de quelle couleur déjà?)
et :
1
2
3
naissait
en nous cette envie
ď
d'avancer
au devant de cette eau qui cautérise nos blessures

Pourquoi ne pas dire que la mer
rassemble ses vagues
comme le journalier ses stères
de branches d'arbres
abattus la veille !

Toutes les marées hautes se ressemblent
Toutes vies se valent & valsent ensemble
Chaque barbare cherche à étreindre
sa part intime de sable et de vent

C'est cela qui est à dire. »

Ce dernier poème confirme l'impérieuse nécessité pour l'auteur de dire, de préciser, de confirmer ce qu'il faut retenir de ce qui s'apprête à partir, à être oublié.
Sa poésie s'engouffre dans cette fêlure de l'être, dans cette douleur existentielle. Franck Venaille veut sans cesse croire à l'intensité du langage, à ses méandres, à ses contradictions mais aussi à sa générosité, à son pouvoir de résilience.
Généreuse et réservée, sa poésie porte en elle le regret de l'enfance disparue et la clairvoyance du présent à vivre.

« Ainsi je marche tombe me relève & reprends ma marche »


.
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critiques presse (2)
Telerama
23 février 2012
Dans C'est à dire s'expose également, de page en page, la pluralité des formes avec lesquelles joue l'écriture de Franck Venaille.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeMonde
13 janvier 2012
"Alors je marche tombe me relève & reprends ma marche." Ce vers clôt le premier poème de C'est à dire, nouveau recueil de Franck Venaille. Il le clôt en faisant entendre la déchirure qui se déploie tout au long de cette oeuvre où l'élégance et la retenue s'entremêlent, avec génie, à l'émotion la plus brute.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
L'OFFRANDE

Tenant son bouquet à la main, elle vint.

À tous, elle offrit (bien installée dans le présent) : roseau des sables, jonc des dunes, élyme des sables. Tout ce qui avait permis autrefois de fixer le mouvement des dunes afin qu'elles n'envahissent pas la cité.

Je songeais à cette flore dont j'étais le maître au moment même où ailleurs, nous nous laissions glisser dans les canaux sans voix.

Tenant son bouquet à la main.

Nous n'avions que peu de choses à nous dire mais il me semblait bien que cela prendrait la totalité d'une vie. C'est peut-être le calme de la nuit sur l'eau qui nous amène à réfléchir sur notre condition. Parfois la rame heurtait le fond permettant que remontent à la surface des objets, concernés par la lente et élégante sortie nocturne.

Elle vint, malgré l'interdit qui touchait la totalité de la population soumise.

Sa démarche était bien la même que celle- animale - de la plage. Sa beauté éclairée d'une manière différente. Seule la qualité du silence l'emportait. Noir était ce bateau ! Noire fut bientôt la nuit qui nous ramena à la réalité noire.

Au loin, très loin, venant d'où ? une musique guerrière se fit entendre. Nous répondîmes par encore plus de silence. Se glisser sous les ponts !

S'arrêter contre un lampadaire en pleine lumière rose & là, boire de ce vin âpre de nos vignes.

Tenant son bouquet elle vint.

Ailleurs, on devait l'attendre, s'impatienter, perdre la face. Le bouquet, de sa manière un peu rude, l'embellissait encore. Faite pour le bonheur ! Et c'est ainsi que je me mis à fredonner un air de révolte chanté autrefois par les Partisans.

Tenant son bouquet de graminées elle vint jusqu'à moi.
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si
vaste

était le mystère
de la vie

si
profonde
l’anxiété
qu’elle
véhiculait

que
presque sans raison
nous demeurions émotifs

sans raison ai-je dit

simplement
comme des âmes singulières
doutant de tout
surtout d’elles-mêmes

ainsi se faufilaient les ans
si profond étant notre étrange désir de vivre
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Cet homme assis à sa place modeste dans le tramway qui longe les rails de la mer.

Cet homme ne regarde qu'à l'intérieur de lui-même & ne voit donc pas que, pour les autres voyageurs, il est l'énigme même : le Sphinx en larmes!

Celui qui est monté où ? A quelle station ? (...) A l'un de ces arrêts où il est in-dis-pen-sa-ble de faire signe au machiniste ! Quelque chose comme le premier homme sur la lune. Celui-ci je ne sais où il va descendre. Ce qu'il va faire. Mais ce sera dans l'étendue du sable sec puis mouillé. Mouillé puis sec. Avec de petits lacs nés ce matins.

(...) Maintenant le bruit entier des vagues s'installe dans les wagons ravivant l'énergie de tous. Jeunesse! Ils se touchent. Se bousculent. Ils n'ont d'autres projets immédiats que celui-là. Former un cercle. Un clan. Sans le vouloir vraiment, ils enferment l'homme dans encore plus de solitude. On hésite à tendre la main vers lui, dans sa direction. Alors que le bruit entier de la mer nous procure un sentiment d'absolu. Tout cela est d'une infinie tristesse n'est-ce-pas ?

Je ne me souviens plus de l'arrêt qui, pourtant, portait fièrement un nom pour lequel on paie son tribut. C'était un vieux bâtiment avec mille accent circonflexes. Un lieu d'illusions. Où l'on parlait fort. On y riait aussi beaucoup. On vivait dans la certitude. Cà! Ne partageait-on pas la même langue?

Mais lui, l'homme au visage ravagé? Il ne se sentait pas à l'écart. Simplement depuis toujours, il l'était. Blessé dans sa chair. Trop humain sans doute.

Il longeait la mer qui, à sa manière, exprimait cela.
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DANS LE SILLAGE DES MOTS


Extrait 2

J’ai combattu jusqu’à l’extrême. Maintenant il me reste à
rejoindre mon hôtel, palace pour fêtes légales & là, allongé
sur un lit, chaussures encore boueuses aux pieds, à regarder
l’eau du canal tressaillir, frémir, s’allonger, s’ouvrir !

Je ne fréquente pas les églises et leurs chefs-d’œuvre. La la-
gune s’en moque. Elle laisse la porte ouverte sur le tout petit
jour quand passe devant moi un remorqueur au moteur sans
âge. Debout. Droit, face au vent se tient l’homme gouvernail.
Sa silhouette attise le sentiment de beauté solitaire.

Ainsi suis-je à la fois celui qui écrit mais également cet autre
qui prend sur lui de lire des manuels militaires à l’usage du
bataillon de mouettes de l’infanterie de marine.

Kra – kris – kro – kas – kis – kris – krea – kra – ker – kar – kru – kas
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Ainsi me suis-je mis à aimer ce qui était propulsé
dans ce monde
hors de l’écriture

Le petit jour dans les îles
Un simple oiseau revenu transfiguré de sa migration.

Il suffisait d’une barque
Il suffisait de ça.
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