Disparu en 2018,
Franck Venaille fait aujourd'hui encore partie des grandes figures de la poésie contemporaine. Auteur d'une importante oeuvre poétique débutée en 1966, récompensée de plusieurs prix littéraires, c'est au travers de son recueil
Requiem de guerre que j'ai fait sa connaissance. Après cette lecture d'il y a quelques années, je m'étais promis de revenir vers sa poésie. Je le retrouve aujourd'hui avec
C'est à dire, un recueil paru en 2012 aux éditions du Mercure de France.
L'écriture de
Franck Venaille reste toujours aussi discrète et sensible, variée (on va du poème court en vers libre au texte en prose plus ample, avec parfois le recours aux caractères en italique), avec dans chacun des textes une rythmique très particulière mais qui préserve l'unité de style.
Le sentiment qui domine dans ce recueil, c'est celui de la précarité, de la fragilité des liens qui nous unissent au monde, à notre passé, un sentiment dans lequel la nostalgie et l'inquiétude sont toujours présentes.
« Je vous regarde rouler à même le sable
enfants de mon enfance triste
quand sur vos bicyclettes d'un beau noir de
Flandre
vous montez à l'assaut des dunes
tandis
que
dans cette fin de journée passée à
Me souvenir, enfants, de vous
J'
entends les cris les rires les disputes
Puis
larmes dans la gorge Je laisse
l'eau baute
en sa décrue
emporter avec Elle
ces sons d'autrefois qui
aujourd'hui encore
tant
me
font
souffrir »
Dans des thèmes aussi variés que le passé, l'enfance, la mer du Nord, la présence féminine, la guerre, la religion ou encore la poésie, l'auteur révèle l'image d'une conscience un peu égarée mais qui cherche comme un point d'arraisonnage, une solidarité contenue dans le langage.
«
C'est-à-dire
qu'il suffisait de voir la mer se lever
dans des sortes de morsu-
Res de vagues
avec l'écume (de quelle couleur déjà?)
et :
1
2
3
naissait
en nous cette envie
ď
d'avancer
au devant de cette eau qui cautérise nos blessures
Pourquoi ne pas dire que la mer
rassemble ses vagues
comme le journalier ses stères
de branches d'arbres
abattus la veille !
Toutes les marées hautes se ressemblent
Toutes vies se valent & valsent ensemble
Chaque barbare cherche à étreindre
sa part intime de sable et de vent
C'est cela qui est à dire. »
Ce dernier poème confirme l'impérieuse nécessité pour l'auteur de dire, de préciser, de confirmer ce qu'il faut retenir de ce qui s'apprête à partir, à être oublié.
Sa poésie s'engouffre dans cette fêlure de l'être, dans cette douleur existentielle.
Franck Venaille veut sans cesse croire à l'intensité du langage, à ses méandres, à ses contradictions mais aussi à sa générosité, à son pouvoir de résilience.
Généreuse et réservée, sa poésie porte en elle le regret de l'enfance disparue et la clairvoyance du présent à vivre.
« Ainsi je marche tombe me relève & reprends ma marche »
.