Cette révolution intellectuelle apparaît si subite et si profonde qu’on l’a crue inexplicable en termes de causalité historique : on a parlé d’un miracle grec. Sur la terre d’Ionie, brusquement, le logos se serait dégagé du mythe comme les écailles tombent des yeux de l’aveugle.
Cosmogonie et mythes de souveraineté
Dans l'histoire de l'homme les commencements d'ordinaire nous échappent. Cependant, si l'avènement de la philosophie, en Grèce, marque le déclin de la pensée mythique et les débuts d'un savoir de type rationnel, on peut fixer la date et le lieu de naissance de la raison grecque, établir son état civil.
Certes, la vérité du sage, comme le secret religieux, est révélation de l'essentiel, dévoilement d'une réalité supérieure qui dépasse beaucoup le commun des hommes; mais en la livrant à l'écrit on l'arrache au cercle fermé des sectes pour l'exposer en pleine lumière aux regards de la cité entière; c'est reconnaître qu'elle est en droit accessible à tous; c'est accepter de la soumettre, comme le débat politique, au jugement de tous, avec l'espoir qu'en définitive elle sera par tous acceptée et reconnue.
La raison grecque ne s’est pas tant formée dans le commerce humain avec les choses que dans les relations des hommes entre eux. Elle s’est moins développée à travers les techniques qui opèrent sur le monde que par celles qui donnent prise sur autrui et dont le langage est l’instrument commun : l’art du politique, du rhéteur, du professeur. La raison grecque, c’est celle qui de façon positive, réfléchie, méthodique, permet d’agir sur les hommes, non de transformer la nature. Dans ses limites comme dans ses innovations, elle est fille de la cité.