AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Deleatur


Je poserai en préambule une question essentielle : est-il possible de se dire déçu par Jules Verne sans qu'aussitôt les ombrageuses divinités babéliotes qui hantent ces lieux me vouent à lire du coaching feel-good jusqu'à la fin de mes jours (et mes descendants après moi pendant mille générations) ?
Parce que oui, voilà, pour le dire très simplement, ce Jules Verne-là m'a bien déçu.

On connaît le point de départ : fasciné par le roman d'Edgar Poe, Les Aventures d'Arthur Gordon Pym, Verne s'est mis benoîtement en tête d'en écrire la suite à soixante ans d'intervalle.
D'où un départ des Kerguelen à bord de la goélette l'Halbrane, et cap sur le grand océan austral à la recherche des éventuels survivants de la Jane (le navire qui, dans le livre de Poe, a recueilli Pym avant de faire naufrage). L'enjeu de cette nouvelle expédition est de démontrer que l'histoire rapportée par Edgar Poe n'a rien d'un roman mais est au contraire parfaitement authentique...

C'est tout de même un singulier défi littéraire que Jules Verne se lance là : mobiliser les ressources de son scientisme pour prouver la véracité d'un roman dont les hallucinations sont étrangères à tout esprit cartésien ! Je ne vois pour ma part aucun hommage dans cette entreprise, mais plutôt une tentative de déconstruction - pour ne pas dire destruction - de l'imaginaire fantasmagorique déployé par Poe (la fin du roman, qui crucifie littéralement Pym sur l'autel de la rationalité, m'a d'ailleurs paru aussi artificielle qu'inutilement cruelle).
Bref, l'Halbrane descend de plus en plus au sud et recueille en effet quelques indices du passage de la Jane. Mais des tableaux extraordinaires qui ont enthousiasmé les lecteurs d'Edgar Poe, il ne reste ici très exactement rien. Pas d'île mystérieuse, pas de peuplade farouche, pas de phénomènes étranges : tout semble avoir été balayé par un séisme bien commode. Ne subsiste plus qu'un océan austral bien morne, même pas foutu de fournir une bonne scène de tempête. Pas d'autre relief que des défilés d'icebergs immaculés et quelques îlots noirâtres, ça et là. Pendant toute la première moitié du roman, il se passe tellement peu de choses qu'on se croirait chez Costa Croisières. La première vraie péripétie du voyage ne survient qu'à la page 321 !
Entre-temps, Verne s'est contenté paresseusement d'égrener des longitudes et des latitudes comme il adore le faire ; il semble prendre un malin plaisir à toujours décevoir l'attente de son lecteur, et moi je me suis ennuyé ferme au milieu de personnages transparents et stéréotypés qui m'ont paru peu dignes de son talent.

Qu'elle était loin, l'inspiration présidant aux Voyages et aventures du capitaine Hatteras... Trente ans séparent ces deux romans, et leur comparaison m'amène à croire qu'en trente ans on vieillit beaucoup.
Hatteras et le Sphinx des glaces : une formidable réussite littéraire au Pôle Nord contre un cabotage poussif au Pôle Sud. Voilà en définitive ce qu'on pourrait appeler des romans des antipodes.
Commenter  J’apprécie          368



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}