Un train passa dans l'or du couchant avec la régularité de ses wagons noirs. Il n'y eut que lui pour applaudir et espérer que recommence cette féérie . D'ailleurs, même l'absence de ce train était prégnante . Elle s'inscrivait dans le rougeoiement et la métamorphose de l'horizon.
Danny se sentait en verve. Les insultes fleurissaient dans sa bouche. Il accueillait l'ingratitude des passants avec une joie exubérante. Il fouilla l'un de ses innombrables sacs, jeta des miettes et des quignons de pain. Dvanov le regardait brocarder gaillardement la gent humaine, il en déduisit qu'il y avait l'ébauche d'un poème dans chacune de ses diatribes. Il comprit qu'il venait de rencontrer un ami et un homme libre.
“Dvanov pouvait ressentir la grande transparence des sentiments sans pouvoir en saisir la naissance. Ils modelaient le visage de cette femme, la livraient à une fureur douce et intérieure, l’éloignaient des êtres et des choses et, peut-être, de ce qu’il était. On ne peut pas caresser un parfum. Voilà ce dont il était sûr. On ne peut pas caresser un parfum.”
- Tu as beaucoup de chemins quand tu parles, avait dit Dvanov.
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Dvanov s'éveilla pleinement avec des craquements d'os et un soupir qui le vida de tout son mauvais songe. Il salua la compagnie et renifla l'air du dehors. Il choisit une rue en écailles de tortue. Elle se tortillait entre de vieilles maisons à colombages, s'élargissait ou se réduisait, selon les règles que s'impose un ruisseau quand il doit franchir divers obstacles. Lorsque les ruisseaux sont pavés de bonnes intentions, ils forment une place.
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Dvanov respira un grand bol de nuit avec son odeur de fer. Sarah venait de lui lâcher la main. Il y eut un fourmillement d'êtres humains, un mouvement lent et indistinct, des pleurs de nourrissons. Sarah fut happée par un homme, par sa voix qui tonnait. Flottèrent ensuite des murmures, des cascades de pas, des reniflements, des questions apeurées que l'on adresse à celui ou celle qui doit nous protéger. Des réponses tendres. Un sourire d'enfant dû à l'éblouissement que lui procurait cette vie nocturne. Des pas. Encore des pas.
Dvanov n'apercevait plus Sarah. On aboyait au-dessus de ce moutonnement sombre et ces vociférations animales se répercutaient de wagon à wagon.
- Qu'est-ce qui se passe ? Bordel de dieu, qu'est-ce qui se passe ici ?
Dvanov s'adressa à un jeune homme qui hurlait des ordres en allemand. Tandis qu'un projecteur balayait des centaines d'oiseaux surpris, son uniforme passa d'orange à gris.
- Qu'est-ce que vous foutez- là, vous ? Elle est où votre jaune étoile ?
Dvanov ne répondit pas. À coups de crosse, on entassait des gens comme de la paille. L'officier s'attarda un moment sur lui puis leva les yeux. La pluie commençait à tomber. Elle scintillait sur les toits. Elle nettoyait toutes les étoiles de la terre.
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Une colère d'étourneaux claqua et s'éleva pour s'abattre comme une pluie noire un peu plus loin.
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Ils se dirigèrent vers la gare. Une imposante bâtisse blanche avec des toits en cuivre avalait et recrachait une impatience triste et humaine.
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Tous les deux lorgnèrent par la fenêtre. Du bleu et du vert dansaient derrière la vitre sale, sans doute un arbre avec des carreaux de ciel, et l'idée du matin se répandit à l'intérieur de la cuisine. Dvanov ouvrit la porte. Il s'attendait au chant de la lumière, à cette rage qu'elle a d'égaliser les objets disparates et de soumettre ce grand troupeau que sont les formes d'un paysage à une connivence cuivrée et muette. Or, il n'en était rien. Au lieu du cuivre et du zinc, la violente pâleur du ciel gris s'étirait avec les muscles noirs et maigres des arbres lorsqu'ils ont pleuré sous la pluie.
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Quand il se réveilla, il y avait de l'encre violette autour des feuilles des arbres, le ciel se teintait doucement. Des fusains d'hommes et de femmes passaient sans s'arrêter.
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