- C'est répugnant un bourgeois, pensa Danny. La nuit, il empêche la pauvreté de se cacher, le jour, de se montrer.
"Quand on coupe la tête à la royauté, il ne faut pas oublier de couper les jambes à la bourgeoisie." C'est ce qu'écrivit Danny sur le mur à l'aide de morceaux de bois calcinés qu'il venait de trouver.
p.119
Dvanov avait beau échafauder des bribes de phrases, de quoi entamer un semblant de discussion, rien n'aboutissait. Il se résignait à suivre son regard perdu, lisait en elle discrètement. Insistant sur une mèche rebelles, la main de Sarah, par intermittence, effaçait une tristesse d'oiseau. elle était là, à la fois présente et absente.
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Dehors, les couleurs glissaient par vagues. À cause des carapaces métalliques des voitures, elles s'emboîtaient dans un constant miroitement. Ils observèrent et écoutèrent longuement cette mer artificielle qui meuglait, s'irritait à coups de freins et de klaxons.
Des réverbères orange étiraient leur cou de girafe et broutaient par endroits le feuillage nocturne.
p.124
Les trois semaines qui suivirent, le soleil avait tapé à grands coups de marteau sur les collines, sur le pelage étique des prés. Les maisons somnolaient à la manière de moutons malades. Le pays tremblait sans bouger, enfermé dans un flacon d'huile. L'été avait recouvert de cuivre le ciel et les oiseaux, même ces buissons lourds qui avaient du mal à digérer la paille riche de la lumière.
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Mais Danny estimait que dans la plupart des cas, une question était un point d'interrogation à la fin d'une réponse. Celle-ci n'échappa pas à la règle.
Rien de tel qu’une éclipse, s’amusa Danny. Je pense savoir comment s’est démerdé Moise devant sa putain de mer. Il a fait exactement comme nous, il s’est désapé, voilà tout !
- Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises étoiles. Elles ne sont pas pour nous, c'est tout. Elles nous apprennent à compter et à nous perdre. Elles ne sont pas pour nous.
Sarah se mit à lui sourire alors qu'il ruminait et que se déchiraient ses pensées comme le travail d'un mauvais élève.
Dvanov respira un grand bol de nuit avec son odeur de fer. Sarah venait de lui lâcher la main. Il y eut un fourmillement d'êtres humains, un mouvement lent et indistinct, des pleurs de nourrissons. Sarah fut happée par un homme, par sa voix qui tonnait. Flottèrent ensuite des murmures, des cascades de pas, des reniflements, des questions apeurées que l'on adresse à celui ou celle qui doit nous protéger. Des réponses tendres. Un sourire d'enfant dû à l'éblouissement que lui procurait cette vie nocturne. Des pas. Encore des pas.
Dvanov n'apercevait plus Sarah. On aboyait au-dessus de ce moutonnement sombre et ces vociférations animales se répercutaient de wagon à wagon.
- Qu'est-ce qui se passe ? Bordel de dieu, qu'est-ce qui se passe ici ?
Dvanov s'adressa à un jeune homme qui hurlait des ordres en allemand. Tandis qu'un projecteur balayait des centaines d'oiseaux surpris, son uniforme passa d'orange à gris.
- Qu'est-ce que vous foutez- là, vous ? Elle est où votre jaune étoile ?
Dvanov ne répondit pas. À coups de crosse, on entassait des gens comme de la paille. L'officier s'attarda un moment sur lui puis leva les yeux. La pluie commençait à tomber. Elle scintillait sur les toits. Elle nettoyait toutes les étoiles de la terre.
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