Les nuits d'été, c'était plus fort que lui, s'échappant par la fenêtre de sa chambre, il dormait à la belle étoile. Sous les couvertures, il étouffait. Il avait besoin de dormir peau à peau contre le monde. Parfois, la porte de la maison voisine s'entrebâillait. Dans sa longue camisole blanche, une petite fille traversait la nuit pour venir se blottir contre lui. Il s'endormait sans un geste sans un mot, dans un sentiment de totale plénitude. Avec l'aube, la minuscule silhouette s'évanouissait et il ne savait plus, au réveil, ce qui relevait de la réalité ou du rêve.
-"Trois heures, déjà" se fit-il remarquer, avec le sentiment que le temps avait repris son pas.
De sa vie, il n'avait eu besoin de montre : un arbre, un bâton dressé, une herbe longue donnent l'heure à la minute près. La montre est pour les jours de fête quand le regard est occupé ailleurs.
En lui, l'horloge du temps s'était remise en marche.
Ils débouchèrent sur la crête à l'instant où une lueur rouge crevait le cercle d'horizon.
Mathias tendit la main vers le bras de Charles. Pourtant essoufflés par la montée, sans se concerter, ils retinrent leur souffle.
Et la nature fit comme eux. L'air se figea. les oiseaux se turent. Une sorte de vapeur glacée transpira du sol. Noyant l'horizon dans une coulée de sang et de lumière, le globe de feu sortit de terre.
- Le matin, Mathias, murmura Charles, c'est le matin !
En lui aussi, les vieux oripeaux tombaient. Il se voyait nu. Rien ne protégeait plus dehors. Rien ne protégeait plus dedans. En attente, se pouvait-il, comme ce gamin s'éveillant à l'aube dans l'herbe trempée de rosée avec ce vide contre sa poitrine, cette part arrachée de lui.
Parfois, au cours d'une journée, levant les yeux sur l'étendue des labours, ou voyant se rassembler au crépuscule d'octobre un vol crépitant d'étourneaux, un bref instant, il avait senti le vide se remplir.
Adèle et lui parlaient parfois, comme ça, à tâtons, ainsi qu'on jette, de temps à autre, une brindille à la flamme en écoutant son crépitement. Entre eux, des mots aussi simples que la marne, l'eau, le pain ou le feu sous la soupe du soir, des mots usés comme les mots de la prière, pourtant Adèle le sait, elle le sent, ils sont plus grands que le monde : c'est eux qui conduiront Mathias sur l'autre versant de la nuit.
Et en elle, l'aube est là, déjà, qu'elle ne sait pas encore. Au plus profond de son être, cette auréole aveuglante d'or et de feu précédant le lever du soleil.