Citations sur Les saisons de Vendée, tome 2 : L'étoile du Bouvier (8)
Les yeux de verre des grands oiseaux de nuit dans la vitrine considéraient Elise avec indifférence. Elle se rhabillait. Le cabinet retentissait à côté des bruits de bassine et d'eau de M. Héliodore Duval. Le vieux médecin avait débarrassé sa méridienne d'un empilement de planches de botanique, et prié Elise de s'y étendre. Il ne pratiquait plus la médecine depuis vingt ans. Les dix-huit fermes de son domaine de Bellenoue lui suffisaient pour vivre et se consacrer à ses activités de naturaliste et d'entomologiste.
Vingt-deux ans avaient passé, et c'était comme un jour.
L'eau continuait de couler dans le lit de la Vie.
La guerre était revenue.
Tout était peut-être à recommencer.
Rien n'est jamais fini dans les travaux des hommes.
Il ne savait pas s'il avait encore assez de forces pour lutter.
Plus tard, sous les couvertures et l'édredon, dans la chambre froide, Elise pensa tout haut :
- On lui aura au moins donné une qualité dont je suis sûre, c'et l'intelligence.
- C'est quelquefois un cadeau dangereux quand on est infirme.
Elise ajoura ;
- On lui a aussi donné le courage, il se battra.
– Il nous faudrait beaucoup de chance pour nous en sortir, dit Augustin. La chance ce n'est pas le fort de la famille.
Elise haussa les épaules.
– En travaillant, on peut y arriver. On n'est pas plus bêtes que les autres !
– Tu serais prête à travailler comme une paysanne !
– Tu m'en crois incapable ! s'emporta-t-elle. Tu crois que je me suis tournée les pouces aux foins, aux moissons, à l'école pendant ces trois ans !
Il avait ployé le dos, comme si ces cris lui faisaient mal. Elise lui prit la main :
– On va gagner la Trézanne ensemble.
Elle est folle, pensa Augustin. On n'y arrivera pas. Mais cette folie lui donnait envie de vivre.
Il s'éveilla cette première nuit du retour de Donatien alors que la pendule sonnait deux heures. C'était la présence souffrante du petit à côté de lui réveillé, et une boule qui serra la gorge. Elise bougea. Il se tourna. Elle se tourna aussi. Il ouvrit les yeux, convaincu qu'il ne se rendormirait pas.
- Tu ne dors pas ? demanda-t-il.
- Non.
- A quoi penses-tu ?
- A la même même chose que toi.
Ils écoutèrent la respiration de leur petit à travers le noir.
Elle dit, plus tard :
- La vie est un combat, et il y a des jours où les soldats ont le droit d'être fatigués.
Pouvaient-ils lui dire qu'ils étaient cousins germains, et que les risques d'un mariage consanguin les avaient séparés ? Les risques demeuraient, toujours aussi grands. L'enfant à naître et les souffrances de la guerre les avaient fait passer outre.