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Critique de pleasantf


Black Village signé Lutz Bassmann est le 42ème opus du mouvement post-exotique formé, outre l'auteur déjà mentionné, par Antoine Volodine, Elli Kronauer, et Manuela Draeger. Quatre voix mais un seul corps. On retrouve dans Black Village les images et les notions familières aux lecteurs de Volodine.

La quatrième de couverture recopiée plus haut décrit si parfaitement l'entame de ce livre que ce n'est pas sans scrupules ni un douloureux sentiment de ne pas pouvoir mieux faire que je me lance dans ce qui ressemble fort à une redite, pas inutile néanmoins si vous souhaitez vous contenter de lire ma critique. Trois personnages se retrouvent après leur mort dans le Bardo, si souvent présent dans les romans post-exotiques. le Bardo est cet état intermédiaire entre la mort et la réincarnation qui dure quelques jours chez les Tibétains mais beaucoup, beaucoup plus longtemps dans Black Village, malheureusement pour les trois personnages qui s'y retrouvent dans une obscurité presque totale.
Le temps n'est plus ce qu'il était dans le monde des vivants. Pour essayer d'en retrouver le contrôle ou du moins la mesure, les trois personnages décident de se raconter des histoires. Ce sont de courts récits (des ‘narrats dans la terminogie post-exotique) et même des ‘interruptats' car les caractéristiques de la dimension temporelle dans le Bardo, fort capricieuse, sont telles qu'il est impossible de mener une narration jusqu'à son terme. Les récits restent à l'état de fragments, brutalement coupés, que le lecteur est invité à compléter à partir du riche matériau généreusement fourni par l'auteur.

Ces narrats/interruptats au nombre de 31 constituent l'essentiel du roman. Celui-ci est construit en 35 chapitres dont 31 d'interruptats, organisés autour du chapitre central (le 18ème). A l'image d'une construction architecturale parfaitement symétrique, les chapitres placés de part et d'autre du noyau de rang 18 se répondent. Quelques exemples pour ne pas perdre les lecteurs que mes explications confuses désemparent : le chapitre 16 (fusillade 1) fait écho avec le chapitre 20 (fusillade 2) avec les mêmes personnages et une forte similitude entre les deux scènes, le chapitre 6 (Clara Schiff 1) fait écho avec le chapitre 30 (Clara Schiff 2) avec un même personnage, un même cadre (un train) mais deux scènes fort différentes, le chapitre 32 (Sarah Agamemnian) est un récit dans lequel le personnage finit par rencontrer le personnage du chapitre 4 (Fischmann) Parfois les résonnances entre les deux récits mis en miroir sont moins explicites et plus ténues. Les chapitres périphériques 1,2, 34 et 35 sont en quelque sorte les fondations de l'ouvrage et ont pour cadre le Bardo.

Les histoires racontées par les trois personnages sont formées à partir de souvenirs, de rêves, d'hallucinations, de leurs obsessions et de leur imagination. On retrouve là les caractéristiques habituelles de la littérature post-exotique. Je pense ici à une citation de Paul Ricoeur : « nous devons sans cesse raconter nos histoires » et il serait intéressant d'analyser l'oeuvre de Volodine à partir de la pensée du philosophe, même si celui-ci utilise les concepts de symbole et de métaphore que ne revendique pas du tout la littérature post-exotique. A partir de ces récits, comme s'il essayait d'interpréter des rêves, le lecteur peut se faire une idée de la réalité vécue par les personnages, en démêlant ce qui relève du réel et ce qui relève de l'imaginaire. On peut imaginer quelles étaient leur activité : agents de services secrets, militants clandestins d'un parti révolutionnaire, terroristes, tueurs ? La réalité à laquelle il est fait référence est très souvent celle des grands traumatismes historiques du XXème siècle (pogroms, guerres, camps), de l'échec des révolutions dans leur tentative de se débarrasser d'un capitalisme monstrueux. Néanmoins, dans Black Village, l'arrière-plan historique me semble plus contemporain que dans d'autres romans de Volodine : nous sommes désormais loin du soviétisme et des camps de concentration mais plus proches des camps de réfugiés et du désastre écologique.

La tonalité est évidemment très onirique mais je trouve que l'onirisme fantastique s'accompagne toujours d'un hyperréalisme dans la technique d'écriture, qui rend le texte très efficace dans sa capacité à y plonger le lecteur. Mention spéciale au traitement des (mauvaises) odeurs et de divers fluides – prendre une douche après avoir refermé le livre !

On peut se demander ce qui différencie la voix de Lutz Bassmann des autres voix post-exotiques. Volodine revendique une référence au cinéma et ses romans génèrent souvent des images que l'on croirait sorties d'un film. Ils renvoient à notre culture visuelle commune issue du cinéma, à des archétypes. Avec Black Village, j'ose dire que l'on se trouve souvent transporté dans un univers un peu à la Tarantino : univers de violence dans lequel les tueurs jouent le premier rôle, d'humour noir d'après le désastre, de film d'action à rythme rapide où les personnages passent d'une scène à l'autre sans transition.

Et pour illustrer la notion d'interruptat, je dirai en forme de conclusion que
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