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Critique de Erik35


UNE «FADAISE» UNIVERSELLE ET IMPÉRISSABLE.

Une «fadaise philosophique qui ne doit être lue que comme on se délasse d'un travail sérieux avec les bouffonneries d'Arlequin » : ainsi ce cher (et plus sincèrement humble qu'à son habitude) François Arouet dit Monsieur Voltaire avait-il qualifié le premier jet, hélas aujourd'hui perdu, de ce qui deviendrait et intitulerait plus tard "Micromégas", dans la présentation qu'il en fit à son célèbre et éminent correspondant d'alors - nous sommes en 1739 -, Frédéric II de Prusse.

La postérité est une dame bien indocile, et celle de Voltaire n'échappe pas au genre. Lui qui espérait - y mettait beaucoup de son énergie, de son temps - que son oeuvre dramatique ainsi que sa poésie feraient sa gloire au-delà de la tombe en serait certainement pour ses frais : qui lit ou joue encore Mérope, Sémiramis, Oedipe ? Son Zaïre est, seule sans doute, de celle à avoir franchit - un peu - la barrière du temps. Qui lit ou déclame aujourd'hui La Henriade, que Beaumarchais plaçait alors à hauteur de L'Iliade !!!, qui se souvient de ses Épîtres, etc ? En revanche, Candide a atteint un tel niveau de popularité qu'il est même passé dans le langage courant, Zadig est encore très largement lu et étudié, et si Micromégas n'atteint pas de tels sommets, sans doute est-ce plus lié à sa brièveté qu'à son contenu ou à sa forme.

Qu'en est-il donc de ce qui est, fort probablement, l'un des tous premiers "contes philosophiques" qu'il rédigea de toute sa carrière, sinon le premier ?

Habitant d'un satellite de Sirius, Micromégas (mot à mot : "Petit-Grand") mesure huit lieues de haut. Devenu suspect à cause d'audacieuses spéculations, ce géant de 450 ans («au sortir de l'enfance») est condamné, pour un exil de huit cents ans, par une assemblée de juristes en raison de ses idées jugées «malsonnantes, téméraires, hérétiques» par le chef religieux local. Ainsi entreprend-il un long voyage interplanétaire en compagnie du secrétaire d'académie de Saturne, un "nain" de seulement six mille pieds qui multiplie les bévues et laisse parler sa nature, contrairement à Micromégas, véritable modèle de vertu et de mesure. Se déplaçant selon des théories plus ou moins inspirées de celles de Newton (que Voltaire lisait et tachait d'expliciter), les deux compères finissent par arriver sur terre.
Juste à ce moment-là, un voilier passe à leur portée qui transporte des savants de tous genres, s'en retournant d'une expédition au cercle polaire, lesquels passent pour à peine plus que des atomes mais dont il comprennent qu'ils ont langue et raison. Nos deux géants comprennent que ces drôles d'insectes passent leur temps à s'invectiver, se haïr, s'entretuer, ce que leur confirme l'un des philosophe présent, qui leur assène ces mots intemporels : «[...] nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons, et nous disputons sur deux ou trois mille que nous n'entendons point.»

On peut gloser tant qu'on veut : texte préfigurant la science-fiction (comment ne pas penser, par ailleurs, à Rabelais, mais aussi à Swift, et puis à Cyrano de Bergerac. ), critique impeccable moquant les évidences se prenant pour savantes, diatribe contre Fontenelle (l'un des grands esprits du temps, tellement oublié aujourd'hui), libelle terrible et juste à l'égard de tous les sectateurs, qu'ils soient déiste ou philosophiques, Voltaire nous embarque dans une démesure peu commune en son temps. Pour la «fadaise», sans doute ; mais s'il se contente de peu, stylistiquement parlant (encore que...), il démonte les vérités fausses, les vraisemblances idiotes, les amitiés hypocrites, les croyances imbéciles, pour mieux assurer ce qui est d'éternité, que si l'on y porte attention, chaque certitude, aussi assurée qu'elle soit, est fruit de raison.

Un style, pour servir ces oeuvres parfois goguenardes, que M. de Voltaire n'estimait pas à hauteur : Immortel !
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