On n'en veut pas de leur vie. Qu'on nous fiche la paix. Qu'on arrête de nous changer de maison comme des sacs depuis dix ans. On n'avait rien demander. Même pas de naître.
( ...)
Vivre pour n'avoir que des morceaux de vie ? Une moitié de maison ? Une moitié de Maman ? Un échantillon de Papa ? Des débris ? Jamais plus rien d'entier ? Et une valise. Toujours la valise. Notre roulotte. On la fait, on la défait, on la refait. Les habits mal séchés, les miettes, les peaux de bananes séchées, les bonbons collés, ça finit par puer.
( p 25)
Ça roule. Ça double. Ça s’énerve au volant. Ça a le regard tendu devant soi. Ça a mis la clim. Ça se dispute pour l’intensité de la clim. Et les mioches derrière. On dirait nous. Et des bagages au-dessus des mioches. Toujours les mecs qui conduisent. L’air d’avoir encore un peu de pouvoirs. L’air de maîtriser un truc, ils ne savent pas quoi, mais ils maîtrisent. Et les nanas à côté, toutes la même tête, la tête de celles qui sont à côté d’un mec qui maîtrise parce que c’est important d’être avec un mec qui maîtrise.
J’étouffe.
(Page 41)
On n' a jamais su qui des deux en avait le plus sur la patate. En tous cas, ils nous prennent le chou. Surtout pour les bulletins. Nous, par contre, on n'a pas le droit à l'erreur. C'est tout de suite l'apocalypse. "Faut vous prendre en charge, les enfants. C'est pour vous que vous bossez. Vous comprendrez un jour." Comprendre quoi ? Que l'amour ne dure pas ? Que le travail rend aigri, nerveux, insomniaque ? Que les rêves sont étouffés par les factures ?