LARMES
L’hiver, ce sont d’épais foulards. L’été, des verres fumés.
Par expérience, je sais qu’il suffit de cacher la moitié du visage pour que personne ne remarque que vous pleurez.
TOUCHER
Je choisis toujours la machine. C’est peut-être par curiosité ou par inattention. Ou en raison d’un stress de langue seconde. Cette fois-là, j’ai opté pour l’examen manuel. Elle faisait le contour de mes seins avec ses mains, je suppose qu’on peut transporter certaines choses dans le pli d’un soutien-gorge. J’étais sympathique. Elle a tâté mes jambes sur la longueur. Au moment de me retourner, j’ai fait une blague. Je ne sais plus laquelle. Elle a rigolé. Quand elle a tâté mes bras, je me suis dit qu’on me touchait rarement. Rarement ainsi, dans l’intention si précise de me toucher. Sauf pour les massothérapeutes. Le toucher de l’amitié est quelque chose de souvent très léger. On se bise ou on s’étreint dans un geste souple qui part aussi vite qu’il vient. On n’insiste pas. La sympathique agente de sécurité insistait pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec l’amour ou l’envie. Le détecteur m’avait choisie.
PATTES
En dépit de toutes les thérapies, j’opte encore pour une comptine quand il me faut choisir sans grande conviction.
Ma petite vache à mal aux…
J’attends que quelqu’un s’étonne de cette pauvre vache qu’on tire par la queue pour lui soigner les pattes.
Aucun communiqué n’a encore été publié à ce sujet.
CHUTE
Tout était en bois brun dans cette maison. L’escalier massif qui faisait un coude libérant un espace utile où entasser tout ce qui devait monter à l’étage. Les murs. La rampe. L’immense buffet au cœur de la salle à manger. Au pied de l’escalier.
Ma tête, l’escalier, le plancher, le buffet. Ce jour de 1984 où j’ai eu envie moi aussi de danser.
What a Feeling.
POSTURE
Parce que je ne foutais jamais rien, mon père me répétait souvent que j’étais née pour être une princesse.
Parce que j’étais toujours évachée sur le divan, mon père me répétait souvent que j’étais un mollusque.
Comment peut-on changer aussi radicalement de destinée?
PIQÛRES
Elles sont cinq. Quand, au contact du drap ou de ma main endormie, l’une s’éveille, on croirait que les autres y répondent. Comme rien n’indique qu’il existe un réseau sous-cutané de communication entre les piqûres, je ne peux condamner que les mémoires du corps allergique ; mémoire d’un mollet qui se réveille quand le coude s’enflamme ; du majeur qui enfle quand le bras lui parle. Dans un demi-sommeil, je les compte alors – un, deux, trois, quatre, cinq – comme d’autres compteraient les moutons, refusant que cinq piqûres suffisent à mettre fin à ma nuit.
ÉPAULES
C’est un geste qui appelle l’univers. Un geste d’enfant qui aime gros comme ça. Et, même si, d’un majeur à l’autre, l’univers de leurs deux bras ne fait pas cinquante centimètres, on sait que le geste représente toute l’amplitude du cœur. Le nécessaire pour embrasser les possibles.
COUDE
Qu’a-t-il fait pour hériter de tant de peaux sèches?