Parfois, on vous efface avant de vous avoir laissé le choix d'affirmer qui vous êtes.
Je repense à la beauté, à ces choses qu'on chasse parce qu'on a décidé qu'elles étaient belles. Si la vie d'un individu, comparée à l'histoire de notre planète, est infiniment courte, un battement de cils, comme on dit, alors être magnifique, même du jour de votre naissance au jour de votre mort, c'est ne connaître qu'un bref instant de splendeur. Exactement comme en ce moment, alors que le soleil pointe, bas entre les ormes, et que je ne fais plus la différence entre lever et coucher de soleil. Le monde, rougeoyant, m'apparaît identique- et je perds toute notion d'est et d'ouest. Les couleurs ce matin ont la teinte éliminée de ce qui est déjà sur le départ.
Depuis tout ce temps, je me disais que nous étions nés de la guerre - mais je me trompais, Maman. Nous sommes nés de la beauté.
Est-ce que c’est ça, l’art ? Être touché en croyant que ce que l’on ressent nous appartient, alors qu’en fin de compte, c’est quelqu’un d’autre qui, par son désir, nous atteint ?
Le lendemain matin, dans la cuisine, je t’ai regardée verser le lait dans un verre aussi grand que ma tête.
- Bois, as-tu dit avec une moue de fierté. C’est du lait américain alors tu vas beaucoup grandir. Sûr et certain.
J’ai bu tellement de ce lait froid que ma langue engourdie n’en sentait plus le goût. Tous les matins suivants, nous avons répété ce rituel : l’épais ruban blanc du lait versé, moi qui le buvais à grandes gorgées, m’assurant que tu étais témoin, et notre espoir à tous les deux de voir un garçon jaune de prendre de la valeur grâce à la blancheur qui disparaissait en moi.
Sous la couverture, nous avons fait l’un de l’autre une friction, et de tout le reste une fiction.
Ce n'est pas par hasard, Maman, que la virgule ressemble à un fœtus - cette courbe de prolongement. Nous avons tous été un jour à l'intérieur de nos mères, à dire, de tout notre être recourbé et silencieux, encore, encore, encore.
Je tiens à insister : le fait que nous soyons en vie est suffisamment beau pour être digne d'être répliqué. Et alors ? Qu'est-ce que je peux faire, si la seule chose que j'aie jamais faite de ma vie, c'est de la multiplier ? (p. 192)
Très beau roman je conseille
La schizophrénie d’une grand mère traumatisée par les bombes pendant la guerre du Vietnam et l’homosexualité rédempteur de l’ecriture
I miss you more than I remember you.
What if my sadness is actually my most brutal teacher ?