« Ce qu'on aura toujours, c'est ce qu'on a perdu »
Quelle magnifique expérience que la lecture de ce recueil poétique ultramoderne à la fois étrange et bouleversant.
Océan Vuong, ce prodige des lettres américaines de 34 ans, dans un lyrisme brutal évoque le manque de sa mère disparue d'un cancer.
Dans cette épopée intime d'un « loser en plein coup de veine » qui tente de transcender ses traumas, sa mère est partout ; dans chaque parcelle de sa peau, chacune de ses pensées, dans ses gestes, les endroits qu'il traverse, les visages qu'il croise.
Si le livre s'articule autour de cette figure maternelle, Hông (Rose) fille de la guerre et de la faim dont l'auteur remémore les origines, il explore aussi avec virtuosité d'autres thèmes que la perte (guerre, amour, addictions, enfance, exil, dépression …).
Un texte puissant qui frappe en plein coeur et marque surtout par son inventivité et sa force d'évocation et dont le plus beau poème pour moi est « chère Rose ».
C'est d'une sincérité à vif, une prose à la fois acide et délicate, crépusculaire et flamboyante mais qui ne plaira sans doute pas à tout le monde car ultra contemporaine notamment de par sa diversité formelle.
La vague émotionnelle ici est portée par un texte multiforme souvent incantatoire présentant un lacis d'images percutantes. Proses, courts textes, tercets, lettres, vers, invention d'un poème qui rembobine où toutes les actions se déroulent à rebours (impressionnant !) où encore des listes d'achats Amazon s'entremêlent.
La poésie romantique contraste avec une modernité plus féroce où vont s'associer rêveries et Xanax, whiskey & miettes d'Oreos, et où « les aubes rosées des matins bleu sang » détonnent avec les urinoirs de station-service.
Un « journal » poétique manifestement écrit sous montée d'adrénaline.
On accompagne
Ocean Vuong et ses pensées magiques dans les bas-fonds, sur le chemin du deuil et du tombeau mais surtout sur le sentier nébuleux de la liberté où se distingue inexorablement la silhouette fantasmagorique de sa mère Rose « Promets-moi que tu ne disparaîtras plus, ai-je dit
Elle s'est allongée un moment, pour y penser…Je me suis couché sur sa silhouette, pour la garder fidèle
Ensemble nous avons fait un ange
On aurait dit une chose détruite par un blizzard.Je n'ai rien tué depuis»
Sublime recueil.