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Marguerite Capelle (Traducteur)
EAN : 9782072835964
304 pages
Gallimard (07/01/2021)
3.68/5   720 notes
Résumé :
Un bref instant de splendeur se présente sous la forme d’une lettre qu’un fils adresse à sa mère qui ne la lira jamais. Fille d’un soldat américain et d’une paysanne vietnamienne, elle est analphabète, parle à peine anglais et travaille dans un salon de manucure aux États-Unis. Elle est le pur produit d’une guerre oubliée. Son fils, dont la peau est trop claire pour un Vietnamien mais pas assez pour un Américain, entreprend de retracer leur histoire familiale : la s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (161) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 720 notes
Un jeune homme écrit à sa mère. Toute la beauté du geste réside dans le fait que la mère, illettrée, ne pourra jamais lire cette lettre. Ce qui autorise le narrateur à une incroyable sincérité, souvent très crue. le procédé n'est pas nouveau, on pense forcément à la formidable Lettre à mon père dans laquelle Franz Kafka dresse un réquisitoire bouleversant, analysant cette figure paternelle terrible qui l'a construit dans la peur et la culpabilité.

Un bref instant de splendeur est un roman d'apprentissage. Océan Vuong raconte comment il s'est construit, dans la solitude, sans père, sans frère ni soeur, aux côtés d'une mère aimante mal maltraitante et d'une grand-mère schizophrène, toutes deux hantées par la guerre du Vietnam qu'elles ont fui en passant par les camps philippins avant de migrer à Hartford dans le Connecticut. Sa solitude d'enfant puis de jeune adulte est exacerbée par son altérité ( petit, pauvre, asiatique, homosexuel ).

Océan Vuong écrit sa lettre dans une liberté absolue, faisant fi de toute logique chronologique. Son récit est fragmenté, maniant audacieusement ellipses et analepses, sculpté de fragments qui errent dans les cercles de la mémoire de façon spiralaire mais revenant toujours vers l'épicentre de la construction chaotique du moi. Ainsi les vignettes sur les mauvais traitements maternels s'allument puis s'éteignent rapidement comme des allumettes que l'on frotte.

Si le texte peut sembler un peu inégal et parfois même répétitif, il est traversé d'instants de pure magie littéraire. Océan Vuong est un grand poète, capable, par la seule force de ses mots, de créer des images impressionnistes touchées par la grâce. Dans cette mise à nu, les émotions sont toutes palpables et bouleversent, comme si nos sentiments nous faisaient penser. Il parvient à capturer des sensations fugaces presque irréelles, suspendues à un fil, à partir de quelque chose de très tangible.

J'ai relu de nombreux passages tellement ils m'ont éblouie par leur intensité : lorsqu'il raconte son travail dans les champs de maïs aux côtés de migrants latinos, ou son histoire d'amour et l'éveil à la sexualité avec Trevor, un jeune Redneck avec lequel il vit une relation à la fois tendue et passionnée mais qui ne peut survivre à l'âge adulte. Ou encore les superbes pages sur la mort de la grand-mère.

Je referme ce roman autofictionnel très singulier subjuguée par la vulnérabilité et la force qui se dégage de cet auteur. Envahie par la mélancolie née d'un paradoxe : le chagrin et la liberté d'Ocean Vuong grandissent à mesure qu'il écrit son chemin loin de ses ancêtres, lui qui a fait des études, lui qui s'est réfugié dans l'amour des livres, dans l'écriture de la poésie pour se construire, à mesure qu'il tend des fils entre des mondes qui ne se touchent plus.
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« Je n'essayais pas de faire une phrase – j'essayais de me libérer. Parce que la liberté, paraît-il, n'est rien d'autre que la distance entre le chasseur et sa proie. »

De l'horreur à la splendeur, il n'y a parfois qu'un mot.

Mettre en mots son histoire, pour le poète vietnamo-américain Ocean Vuong, c'est la transcender, se livrer pour mieux la mettre à distance et la revisiter, voire y découvrir une beauté insoupçonnée. Une histoire familiale dont l'arbre généalogique tordu enfonce ses racines à l'épicentre de la guerre du Vietnam. Une histoire personnelle torturée par l'intolérance crasse qui règne partout, rythmée par les coups de sa mère traumatisée qui l'aime pourtant, baignée des vapeurs toxiques du salon de manucure où celle-ci travaille, et du parfum du riz au jasmin préparé par sa grand-mère détraquée mais bienveillante qui l'appelle Little Dog.

« Comment qualifier l'animal qui, découvrant le chasseur, s'offre pour être mangé ? Un martyr ? Un faible ? Non, une bête qui acquiert un pouvoir rare, celui de dire stop. Oui, le point dans la phrase - c'est ça qui nous rend humains, Maman je te le jure. C'est ce qui nous permet de dire stop pour pouvoir continuer. »

Dans une déroutante spirale de pensées couchée sur le papier sous la forme d'une lettre à sa mère, l'auteur scrute ces fils de son histoire avec une sincérité parfois crue, sonde leurs entremêlements jusqu'à leurs noeuds les plus intimes. Sur ses blessures et ses différences si lourdes à porter, il pose des mots sublimes qui nous prennent de court par leur pouvoir d'évocation et leur justesse.

La magie de la littérature est à l'oeuvre ici comme rarement. Celle qui déployait des univers-refuges entiers dans l'imaginaire du jeune Little Dog. Celle qui, par le même pouvoir des mots, nous fait ressentir dans notre chair le déracinement, le poids des traumatismes et des non-dits familiaux, la façon dont la guerre fait irruption dans le quotidien des décennies et des milliers de kilomètres plus loin, les violences de race, de genre et de classe dans la société américaine, le piège des addictions ; mais aussi le pouvoir rédempteur de la soumission, de l'amour et de l'écriture. Celle qui révèle l'humanité et la grâce, même fragile et éphémère, là où on s'était accoutumé à ne plus attendre que le monstrueux. Celle qui voit le récit faire naturellement place à la poésie, réduisant sa langue à l'essentiel, lorsque les émotions prennent le dessus.

« Quel est le prix à payer si on passe toute sa vie côte à côte avec les gens qu'on aime sans pouvoir leur parler, sans pouvoir leur dire exactement ce qu'on ressent ? »

Alors certes, la mère à qui cette lettre est adressée ne pourra jamais la lire – elle a été enfermée toute petite par une attaque américaine au napalm sur son école dans la « capsule temporelle » de sa langue d'alors. La communion et l'amour filial qui transpirent dans les pages de ce roman sont d'autant plus bouleversants qu'Ocean Vuong désespère de pouvoir les communiquer.

Un bref instant de splendeur n'est pas une lecture facile (et je ne me suis pas facilité la tâche en décidant de le lire en anglais) : la construction est déstabilisante, le propos souvent terrible. Pourtant, cette courageuse mise à nu est libératrice aussi pour le lecteur puisque chacun de nous a sa part de « monstre ». J'en retiens aussi la beauté de plusieurs scènes – cette mère et cette grand-mère disloquées qui parviennent malgré tout à puiser des réserves de tendresse, la façon dont Little Dog prétend que l'inscription homophobe sur leur porte signifie « Joyeux Noël » pour préserver sa mère ou celle dont le grand-père tourne la page de son amour perdu.

Voici un roman violet, mélange de tristesse et de ravissement. Un texte troublant, qui ouvre les yeux et éblouit.
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Ce genre de livres, on croit le reconnaître de suite même s'il est unique. Il y a une musique familière, elle ressemble à la mélodie du dépouillement d'une âme, aux accents de sincérité traumatisée. Elle vous infuse dès les premières phrases, peu importe presque ce qui se racontera, peu importe qui se racontera. Est-ce Ocean Vuong, est-ce un double narrateur ? C'est « Little Dog » plus sûrement, tel qu'il se présente : « J'ai 28 ans, je fais 1,63 m, 51 kg. Je suis beau sous trois angles exactement, et sinistre de partout ailleurs. Je t'écris de l'intérieur d'un corps qui autrefois t'appartenait. Autrement dit, je t'écris en tant que fils. »
C'est donc sous une forme épistolaire à sens unique que s'engage cette confession, une longue lettre écrite à sa mère analphabète qui ne pourra pas la lire : « Petite fille, tu as regardé, depuis une bananeraie, ton école s'écrouler après une attaque américaine au napalm. À cinq ans, tu n'as plus jamais remis les pieds dans une salle de classe. » C'est aussi sous la forme de flashs, de scénettes pas forcément chronologiques que se révèle son histoire morcelée. Il y interroge sa construction identitaire et ses origines, plus généralement le déracinement de Vietnamiens expatriés aux USA, la violence de la société américaine, la découverte de l'homosexualité, à travers la schizophrénie de sa grand-mère traumatisée à jamais par les bombes américaines au Vietnam, mais aussi son premier amour dramatique, ou son grand-père qui n'en était pas vraiment un.
Mais c'est surtout par la langue que ce livre porte le lecteur. Une langue à la fois tendre et sulfureuse, à la jeunesse fougueuse, crue et poétique, à ingurgiter à petites doses. Une belle langue, avec des mots qui peuvent glisser ou dire, suggérer ou transcender. Il faut parfois leur laisser le temps pour imprégner la conscience, pour que les scènes se déposent au fond des rétines, qu'elles se déclarent à l'émotion. Jusqu'à entendre « l'impossibilité même que tu lises ceci » comme « la seule chose qui me permet de te le dire », et qui fait résonner l'écriture de ce livre comme un pansement pour son auteur.

« Bien joué mec, m'a dit un jour un homme lors d'une soirée, tu fais un massacre avec ta poésie. Tu les exploses tous ». Avec ce premier roman, Ocean Vuong fait aussi une entrée pour le moins remarquée en littérature.
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Un premier roman flamboyant…nous faisant passer tout au long de la narration du désespoir à la joie… lecture aussi époustouflante qu'éprouvante !

Ce jeune poète Ocean Vuong nous donne à lire, les plaies ouvertes de trois générations d'exilés vietnamiens aux États-Unis…. le déracinement, la violence omniprésente, les multiples discriminations ,le mal-être des personnes transplantées, la drogue, les dérives multiples, etc.

Un premier roman des plus singuliers…dont le style est très étonnant : tour à tour haché, fluide, rempli de poésie et d'hyper-réalisme… Un texte perturbant mettant en scène un jeune garçon d'origine vietnamienne, transplanté en Amérique, élevé par une mère analphabète, qui se tue au travail dans un salon de manucure, une grand-mère aimante mais schizophrène (à cause de la guerre du Vietnam, et des bombes), délirante…Le récit se présente comme une longue lettre d'un fils à sa mère ; lettre qu'elle ne pourra jamais lire, celle-ci n'ayant jamais pu maîtriser l'anglais, la nouvelle langue de l'exil, après la terre vietnamienne…les traumatismes de la guerre…Le jeune garçon lorsqu'il était auprès de sa mère l'aidait dans son quotidien, à se faire « comprendre » :
« Ce soir-là je me suis promis que les mots ne me manqueraient plus jamais quand tu aurais besoin que je parle pour toi. C'est ainsi qu'a commencé ma carrière d'interprète officiel de la famille. A compter de ce jour, à chaque fois que je le pourrais, je comblerais nos blancs, nos silences, nos bégaiements. Je me suis reprogrammé. J'ai retiré notre langue et arboré mon anglais comme un masque, afin que les autres voient mon visage, et par conséquent , le tien. (p. 47)”

Un jeune garçon , en butte aux discriminations car il est différent, il est « jaune »… ne maîtrise pas bien sa nouvelle langue… Il découvre en grandissant qu'il est « gay »…différence qui s'ajoute aux autres facteurs d'exclusion… le parcours de ce jeune garçon est un mélange de désespérance, de survie, et d'infimes instants de splendeur et de tendresse… à l'image de la belle et touchante illustration choisie pour la couverture : cette biche à la fois douce, élégante , attendrissante…sur des passages cloutés… dans les dangers supposés de la ville !

« Parfois, quand je suis insouciant, je crois que survivre est facile : il n'y a qu'à continuer à avancer avec ce qu'on a, ou ce qu'il reste de ce qu'on vous a donné, jusqu'à ce que quelque chose change – ou jusqu'à prendre conscience, enfin, qu'il est possible de changer sans disparaître, qu'il suffisait d'attendre que la tempête passe sur vous pour découvrir – eh bien oui – que votre nom est toujours rattaché à une chose vivante.”

Comme l'exprime justement une phrase du 4ème de couverture : « Un livre d'une justesse bouleversante sur la capacité des mots à panser les plaies ouvertes depuis des générations »… sans oublier la tendresse et la compassion venant contrebalancer l'insupportable, la violence, la noirceur de certains humains , sans oublier les Etats entraînant dans la guerre leurs peuples!...

Un réquisitoire sous-jacent contre toutes les guerres qui abiment le monde et plusieurs générations, chaque fois. Les cicatrices sont longues à se guérir !. Reste que cette Lettre à sa mère si vaillante garde, envers et contre tout, la tendresse, l'Espoir...l'amour de la Vie qui passe par l'amour des mots !

« Depuis tout ce temps je me disais que nous étions nés de la guerre, mais je me trompais, Maman. Nous sommes nés de la beauté.
Que nul ne nous confonde avec le fruit de la violence-mais cette violence a beau avoir traversé le fruit, elle n'a pas réussi à le gâter. « (p. 270)

Près de 60 critiques 5 mois après sa sortie…Résultat riche de promesses, pour un tout premier roman… Critiques que je ne lirais pas avant , d'avoir rédigé mon “propre ressenti”. Un vrai choc de lecture dû à la fois à l'intensité du contenu et à la Musicalité très colorée de sa prose , prodigue en images fulgurantes, couleurs, sons et odeurs , liées harmonieusement…
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Ce roman raconte l'histoire de Little Dog un jeune homme d'origine vietnamienne, né en 1988, qui est hanté par la guerre du Vietnam qu'il n'a pas connue. Ce roman est présenté comme une longue lettre que le fils adresse à sa mère et dans laquelle il retrace l'histoire de sa famille.

Rose sa mère est la fille d'un soldat américain, sa grand-mère Lan était obligée de se prostituer pour survivre. Lan restera traumatisée toute sa vie par les bombardements américains. À cinq ans, Rose a vu son école s'écrouler après une attaque américaine, elle n'a plus jamais mis les pieds dans une salle de classe. Aujourd'hui analphabète elle use ses mains dans un salon de manucure.

Par petits flashs, l'auteur nous entraîne dans l'horreur de cette guerre. Des villages entiers qui partent en fumée, dix mille bombes lâchées par l'armée américaine sur un pays pas plus grand que la Californie, davantage que le nombre de bombes déployées pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Il n'y a rien à manger, les gens mettent de la sciure de bois dans le riz pour le rallonger. Quand il y a un rat au menu, c'est un jour de chance. Rose souffre d'un syndrome post-traumatique, elle frappe son fils, elle n'est pas normale, elle est malade du cerveau.

La seconde partie du roman tourne autour du personnage de Trevor, qui va être pour Little Dog la révélation de son homosexualité, l'auteur ne nous épargne aucun détail de cette passion dévorante et les ravages de la drogue.

L'écriture de ce roman est splendide, poétique, violente, crue, mais la lecture m'a semblé difficile. La construction du récit est faite de juxtaposition, de séquençage, des époques différentes se chevauchent en permanence. Je dois dire que j'ai été un peu déstabilisé par cette fragmentation de l'histoire bouleversante de ce jeune homme à qui on a appris à se rendre invisible pour être en sécurité.
Un roman d'une grande richesse sur la violence de la guerre, du déracinement, sur des plaies qui ne se refermeront jamais, sur la différence, sur le racisme, sur le mirage du rêve américain.
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critiques presse (9)
Telerama
04 janvier 2023
C’est bien là que réside la puissance du livre, dans une déstructuration magnifiquement maîtrisée de l’écriture, pour exprimer l’amour pour une mère, pour approcher au plus près la condition des Américains du Sud-Est asiatique, pour mettre des mots sur son premier amour et la découverte du désir homosexuel.
Lire la critique sur le site : Telerama
Bibliobs
17 mars 2021
En remuant toute la glaise qui l’a façonné, trempée d’amour et de violence, il dépose aux pieds de sa mère un plaidoyer bouleversant pour qu’elle l’accepte tel qu’il est.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeDevoir
15 février 2021
Le livre rend compte aussi avec éclat d’un autre affranchissement, peut-être plus radical encore, à travers l’acte créateur, capable d’un même souffle de sublimer la beauté et d’arrêter le temps.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LaLibreBelgique
29 janvier 2021
Pour son premier roman, intitulé Un bref instant de splendeur (On Earth We’re Briefly Gorgeous), Ocean Vuong a opté pour une forme peu usitée, celle d’une lettre qu’il adresse à sa mère qui, analphabète, ne la lira vraisemblablement jamais.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LePoint
28 janvier 2021
À travers son double littéraire, l’écrivain retrace le parcours chaotique et vibrant d’un jeune Vietnamien immigré avec sa famille aux États-Unis.
Lire la critique sur le site : LePoint
LesInrocks
21 janvier 2021
“Un bref instant de splendeur”, un premier roman bouleversant qui donne voix aux violenté·es de l’Amérique.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LeFigaro
15 janvier 2021
Un premier roman fascinant sur le déracinement, la violence, l'incommunicabilité, écrit par un poète américain né à Hô Chi Minh-Ville en 1988.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
FocusLeVif
08 janvier 2021
Le poète Ocean Vuong donne à lire, dans une langue éblouissante, les plaies ouvertes de trois générations d'exilés vietnamiens aux États-Unis.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
Actualitte
05 janvier 2021
[Un]premier roman plutôt remarqué.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (273) Voir plus Ajouter une citation
Demander « Quoi de beau ? » c'était passer, sans transition, à la joie. C'était écarter l'inévitable pour atteindre l'exceptionnel. Parce que beau suffisait la plupart du temps, était une précieuse étincelle qu'on recherchait et récoltait les uns chez les autres, les uns pour les autres.
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Je ne sais pas ce qui m’a poussé à suivre la voix de la créature blessée, mais j’étais attiré, comme si on me promettait une réponse à une question que je ne possédais pas encore. On dit que si on désire quelque chose assez fort on finit par en faire un dieu. Mais si tout ce que j’ai jamais voulu, c’était ma vie, Maman ?
Je repense à la beauté, à ces choses qu’on chasse parce qu’on a décidé qu’elles étaient belles. Si la vie d’un individu, comparée à l’histoire de notre planète, est infiniment courte, un battement de cils, comme on dit, alors être magnifique, même du jour de votre naissance au jour de votre mort, c’est ne connaitre qu’un bref instant de splendeur. Exactement comme en ce moment, alors que le soleil pointe, bas entre les ormes, et que je ne fais plus la différence entre lever et coucher de soleil. Le monde, rougeoyant, m’apparait identique – et je perds toute notion d’est et d’ouest. Les couleurs ce matin ont la teinte élimée de ce qui est déjà sur le départ. Je pense à la fois où Trev et moi étions assis sur le toit de la remise, à regarder le soleil sombrer. Ce n’était pas tant son effet qui me surprenait – cette façon de changer en quelques instants compressés, la perception qu’on a des choses, y compris de nous-mêmes -, c’était le fait même qu’il me soit donné de le voir. Parce que le coucher de soleil, comme la survie, n’existe qu’à l’orée de sa propre disparition. Pour être magnifique, il faut d’abord être vu, mais être vu permet que l’on vous chasse.
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Trevor le chasseur. Trevor le carnivore, le redneck, pas

Une fiotte, un flingueur, une fine gâchette, pas une tante ou une tarlouze. Trevor le mangeur de viande mais pas de

Veau. Jamais de veau. Laisse tomber putain, plus jamais depuis que son papa lui avait raconté l’histoire quand il avait sept ans, à table : veau rôti au romarin. Comment c’était fait. Que la différence entre le veau et le bœuf c’est les enfants. La viande de veau ce sont les enfants

Des vaches, leurs petits. On les enferme dans des boîtes qui font leur taille. Une boîte à corps, comme un cercueil, mais un corps vivant, comme une maison. Les enfants, le veau, ils restent complètement immobiles parce que pour être tendre il faut que le monde vous touche le moins possible. Pour rester tendre, le poids de votre vie ne doit pas reposer sur vos os.
[…]
Les monts obscurs…

Qui ont leurs limites, comme les corps. Comme le veau.

Qui attend dans sa maison-cercueil. Pas de fenêtre – mais une fente pour l’oxygène. Nez rose pressé dans la nuit d’automne, il inspire. Les relents défraîchis de l’herbe coupée, le goudron et le gravier de la route, le goût sucré et âpre des feuilles dans un feu de camp, les minutes, la distance, le fumier terreux de sa mère à un champ de là.
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Au salon de manucure, -désolée-est un outil qu'on utilise pour bosser dans le sens du poil jusqu'à ce que le mot lui-même se change en monnaie. Il ne représente plus uniquement -une excuse-, il insiste, il rappelle: Je suis là, juste là, en dessous de vous. Il s'agit de se rabaisser de sorte que la cliente se sente dans son bon droit, supérieure et charitable. (...)
Etre désolée est payant, être désolée même ou surtout quand on n'a aucun tort, vaut toutes les syllabes d'autodénigrement qu'autorise la bouche. Parce que cette bouche doit manger. (...)
-Désolé-, pour ces hommes , était un passeport pour rester. (p. 114- 116)
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Ce que j'avais envie de leur dire, en filant sur mon vélo, et aussi le lendemain matin, tous les matins, c'est ce que j'ai envie de te dire maintenant : Désolé. Désolé pour tout le temps qu'il leur faudra pour revoir ceux qu'ils aiment, pour ceux qui ne réussiront peut-être pas à repasser vivants la frontière du désert, emportés par la déshydratation et l'hyperthermie ou assassinés par les cartels de la drogue ou les snipers des milices d'extrême droite du Texas et d'Arizona. (p. 116)
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Vidéo de Ocean Vuong
Lecture par Olivier Martinaud Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos - Interprète : Marguerite Capelle
Le premier roman d'Ocean Vuong, Un bref instant de splendeur, prenait la forme d'une lettre adressée par un fils à sa mère analphabète. Dans son recueil de poèmes le temps est une mère, Ocean Vuong renoue avec cette voix singulière, qui témoigne de la violence des traumas autant que des éblouissements de l'amour. Confiant dans les pouvoirs du langage, il use ici des ressources vivifiantes de la poésie pour faire face à la perte de sa mère et donner forme à l'absence. D'un poème à l'autre, des souvenirs émergent, révélateurs des blessures de l'Amérique. D'une rare intensité émotionnelle, la langue d'Ocean Vuong casse la syntaxe, s'autorise des audaces formelles toujours irriguées par un lyrisme incandescent, faisant de ce recueil un sommet d'humanité.
À lire – Ocean Vuong, le temps est une mère, trad. de l'anglais (États-Unis) par Marguerite Capelle, Gallimard, 2023.
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