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Critique de Lucilou


La première fois que j'ai rencontré la marquise de Brinvilliers, j'étais en classe de 4°, alors que ma professeur de français nous faisait étudier certaines lettres de madame De Sévigné.
La lettre du 17 juillet 1676 m'avait beaucoup marquée: "la Brinvilliers est en l'air : son pauvre petit corps a été jeté, après l'exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons (...) Elle fut jugée dès hier ; ce matin on lui a lu son arrêt, qui était de faire amende honorable à Notre-Dame, et d'avoir la tête coupée ; son corps brûlé, les cendres au vent. On l'a présentée à la question : elle a dit qu'il n'en était pas besoin, et qu'elle dirait tout ; en effet, jusqu'à cinq heures du soir elle a conté sa vie, encore plus épouvantable qu'on ne le pensait. Elle a empoisonné dix fois de suite son père (elle ne pouvait en venir à bout), ses frères et plusieurs autres ; et toujours l'amour et les confidences mêlés partout."
Plus tard, au lycée, je dévorai "Secrets d'Etat" de Juliette Benzoni et je retrouvai en figurante la marquise, la tueuse en série du Grand Siècle en même temps que je découvrais l'Affaire -un eu plus tardive- des poisons et que mon gout pour le XVII ème siècle s'affirmait.
J'ai, depuis ce temps-là conçu une certaine fascination ou au moins de l'intérêt pour cette femme devenue mythe et personnage, et son affaire fleurant le souffre sans pour autant pouvoir l'assouvir: la marquise de Brinvilliers ne semble pas tellement passionner les historiens et on l'a laissé, la pauvre, entre les pages de ses contemporains, des acteurs de l'affaire et des mémorialistes jusque aux années 2000 et des poussières. Agnès Walch, universitaire a ainsi publié sa biographie de Marie-Madeleine Dreux D'Aubray en 2010 et je viens de la découvrir pour mon plus grand plaisir.

"La Marquise de Brinvilliers" réunit la rigueur historique et un colossal travail de documentation et de recherche à une plume fluide, très agréable à suivre et à lire -ce qui n'est pas le cas de tous les ouvrages historiques ou de toutes les biographies qui pour brillants qu'ils puissent être sont parfois un peu arides- ce qui a rendu ma lecture extrêmement plaisante. J'ai dévoré "La marquise de Brinvilliers"!

Au lieu de se lancer dans une biographie qui suivrait purement et simplement la chronologie de son sujet, Agnes Walch a choisi de commencer son ouvrage par la mort de Sainte-Croix, obscur gentilhomme qui fut l'amant et le complice de la marquise, et le découverte d'une cassette de cuir rouge au contenu bien compromettant pour cette dernière. de là, l'auteur s'attache à revenir sur l'affaire des empoisonnements, sur chacun de ses acteurs et leurs rôles (du financier Pennautier au valet La Chaussée) et sur le contexte historique et social de l'époque dont elle démontre l'importance pour la pleine compréhension de l'affaire Brinvilliers avant de revenir sur le passé et la vie de Marie-Madeleine qui se révèle bien plus complexe, bien plus qu'une froide empoisonneuse et qui malgré sa culpabilité ne peut qu'attiser la compassion.
La conclusion du livre est d'ailleurs à cet égard on ne peut plus éclairante: "en définitive, demeure beaucoup d'opacité sur une affaire qui déclencha une véritable panique en France et sur une marquise à la personnalité complexe, dont le destin fut jalonné de drames familiaux , de haines et de jalousies. Quel jugement porter sur elle? Comme ses contemporains, on finit par compatir. Qu'elle ait été dangereuse, c'est certain; qu'elle ait été coupable, c'est sans doute vrai; qu'elle ait été victime, c'est incontestable."

Ainsi, se pencher sur la vie de la marquise de Brinvilliers, c'est se plonger dans les paradoxes du Grand Siècle, tout d'ombres et de lumières et hanté par la peur et le fantasme du complot; c'est aller à la rencontre d'une époque complexe où la politique entretient des liens étroits avec la sphère privée; c'est se frotter à une époque où les femmes étaient naturellement coupables, par naissance et où on leur refusait le statut de victime qui sauvegarde pourtant parfois du pire, du crime et de la folie; c'est se risquer sur les sentiers de l'ambition qui pousse aux brigues inavouables et aux alliances inavouées; c'est tendre aux mauvaises rencontres; c'est -enfin- se mesurer aux préparations de mercure ou d'arsenic mêlées de bave de crapaud.
Surtout, c'est revenir sur un mythe, une légende noire nourrie par des siècles de fantasmes et lui rendre en même temps que toute sa complexité son humanité, avec sa noirceur et ses failles, sa fragilité.
Ce n'est pas excuser, c'est comprendre et cela ne rend pas l'enquête moins passionnante, au contraire.
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