Une longue expérience m'avait enseigné que dans tout débat, un avantage trop considérable enlevé par l'une des parties ne lui reste jamais.
L'homme est le plus hermétique des ensembles. Comment voulez-vous que règnent la confiance et le libre épanchement, quand nous venons au monde à l'état de pensée incommunicable ? Il faut que chacun mûrisse à part soi et machine sa destinée, ne livrant ses plans qu'à la dernière minute - ou il périt sous l'avantage des autres. Celui qui parle est perdu, entouré de gens qui sauront, lui qui ne saura rien. Pour l'équilibre de la société, il faut que chacun se taise.
Avez-vous jamais connu homme qui pût conserver son masque sans craquelures, sa cuirasse sans défaut ? A travers les fissures quelque chose finit par poindre, un tic, une manie, un travers, un vice, et l'échange s'établit, le fluide circule qui nous est commun. C'est par les ridicules que nous nous sentons frères.
Je découvre que ce n'est pas impunément que l'on fouille dans les choses mortes. A remuer des alluvions anciennes, on libère des parfums âcres et des fermentations insoupçonnées. La résurrection de ces journées perdues m'a rempli d'un singulier chagrin.
Ces instants, ces impressions ressenties, comment vous les transmettrais-je ? C'est peut-être la millième partie que j'en ai reproduit. Le reste mourra avec moi. Sans doute était -il incommunicable.
Il faudrait des années pour épuiser la substance d'une heure de vie. Scruté, chaque détail révèle un abîme, où mille autres en ouvrent un à leur tour. Je renonce devant un travail si vaste, et je crois qu'il est sage de renoncer.
La vérité n'est pas le contraire du mensonge, trahir n'est pas le contraire de servir, haïr n'est pas le contraire d'aimer, confiance n'est pas le contraire de méfiance, ni droiture de fausseté.
[...] tant il est vrai que nous autres, diplomates, nous avons pour domaine le vague, l'informulé, milieu naturel de nos pensées odoyantes, et que nous souffrons lorsqu'à l'heure du traité il nous faut passer dans la prison terminale des mots. Nous sommes des poètes.
Vous qui dans le royaume pensez être, en les fluctuations de votre destin, l'objet de la sollicitude équitable du prince et de ses conseils, vous ne soupçonner pas à quel point votre vie, vos proches et vos biens dépendent d'un frisson, d'un remous, d'un éclair dans le sein de quelque inconnu, déposé par le hasard au centre nerveux de la machine publique, et dont vous n'entendrez jamais parler.