Comme il passait devant les fenêtres d'une maison construite tout en verre, il resta cloué sur place, médusé par un spectacle étrange.
Il apercevait une femme jeune et belle, élégamment vêtue, qui sous les yeux des passants, assise sur un canapé, approchait de temps en temps le bord d'une tasse de ses lèvres. Sur la table se trouvait un livre ouvert. Sa physionomie semblait lui dire :
« Toi comme d'autres, vous attendiez beaucoup de l'avenir. Mais il n'est pas ce que vous vous étiez imaginé. »
Il poursuivit sa route, et partout il se heurtait à lui-même, et c'était à n'y rien comprendre.
(L'homme usé)
Il était une fois une Elle et un Lui, plus un ahurissant méli-mélo de personnages secondaires qui, considérés d'un point de vue différent, eussent pu être des personnages principaux; mais cette fois-ci ils étaient secondaires, ce dont nous sommes navrés et ce pour quoi nous leur présentons nos excuses.
(Elle et lui)
L'envie lui manquait d'être ce qu'il était.
(Un laquais)
Pour le reste, je me sens assez bien, ici à Berne. Certes, je ne suis plus aussi indépendant ; pendant la journée, je travaille dans un bureau, ou plutôt, dans une espèce de salle voûtée, je compulse toute sorte de vieux actes, dossiers, lettres, rapports, ordonnances, j’établis des listes et tâche d’être à mon affaire, ce que je trouve tout à fait charmant, même si je dois un peu m’y forcer.
Le plus beau, c’est que j’ai bonne conscience. D’ailleurs, cette heureuse disposition ne m’a jamais fait défaut, que je sache. Je viens de perdre malencontreusement une belle dent saine, ce qui par bonheur n’est pas un grand malheur. Certes, je me promène en brèche-dent, dorénavant, mais je continue d’aimer le faire, surtout le soir après le travail, et le samedi après-midi.
Tout le monde sort, jeune et frais, et l’air est rond, gorgé de senteurs, et j’oublie tout, je redeviens celui que j’ai toujours été, je suis heureux et fais toutes sortes de petites rencontres sympathiques, j’appartiens au monde et le monde m’appartient, et le monde est vaste, et mon coeur l’est tout autant, quoiqu’il ne soit plus si jeune que ça.
Mais la jeunesse et la vieillesse, que sont-elles auprès de l’infini de la nature, que sont-elles auprès de cette idée exaltante, et de ce sentiment dans lequel toutes ces menues différences s’abolissent ?
Soit dit en passant, je considère le renoncement, dans les choses de l'amour, comme étant parfois aussi raisonnable que carrément merveilleux.
A plus d'un égard, n'est ce pas ceux qui ne nous aiment pas qui nous font du bien, et ceux qui nous aiment qui nous négligent, ceux qui nous veulent du bien qui nous assassinent, et ceux qui nous négligent qui nous insufflent vie?
Nul ne peut prétendre qu'il n'est pas un cochon.