«
La Promenade » bouscule le lecteur qui s'attend à lire une variante des promenades romantiques nées dans le sillage de Rousseau.
Rien de tel ici.
Robert Walser a écrit ce récit en 1916 en pleine période de guerre. Son narrateur sort de chez lui et selon les hasards de sa marche, il relate ses brèves rencontres avec un libraire, un banquier, un inspecteur des impôts, Frau Aebi, un tailleur, un chien, des enfants.
Il n'y pas de logique du récit. L'auteur ne nous emmène nulle part, même s'il s'adresse souvent à son « aimable lecteur ».
C'est avec beaucoup d'ironie que le cliché littéraire de
la promenade est renversé.
Le style ne propose pas d'envolées lyriques sur la nature ou la beauté des lieux. Les arbres sont là. C'est tout.
Walser adopte une sorte de langue administrative qui se mêle aux formules plus littéraires. Son ton est théâtral, malicieux, souvent forcé. Il joue à être un observateur naïf.
C'est cela : Walser joue.
Mais sous cet enjouement feint se cache une réelle souffrance qui affleure ça et là et qui fait toute la valeur de ce récit.
Lors de la rencontre avec le libraire, on entend sa douleur de n'être pas reconnu.
Le prétexte de
la promenade est « d'échapper aux pensées lugubres devant une feuille de papier vide ».
Tout ce bref récit est comme une métaphore de la création littéraire.
Les dernières lignes disent aussi la solitude de l'auteur, les occasions manquées, l'amour perdu (« Mais comme je n'avais pas fait d'autre effort, elle était partie »).
Une ultime promenade dans la neige le jour de Noël 1956 emportera
Robert Walser qui écrivait au crayon des textes en petites lettres serrées sur des bouts de papier dans lesquels il mettait sa vie entière.
A vingt-deux ans dans « le Poète » il écrivait déjà « Que faire de mes émotions, je ne peux pas les regarder se débattre, impuissantes, puis mourir dans le sable de la langue. Je ne pourrai pas vivre si j'arrête d'écrire ».