Ah, que c'est magnifique, de prendre une décision et d'aller, plein de confiance, vers l'inconnu.
Que tout était devenu beau, à présent, intime, dans la campagne qui sombrait dans la nuit. De braves prés verts filaient avec douceur, élégance et amitié devant moi; des pensées de toutes sortes se bousculaient comme des chatons caressants sur mes talons.
Apparemment, il suffit de se croire malheureux pour l'être bel et bien.
Si l'on est sûr qu'en parlant, on détruit quelque chose de bon, d'aimable et d'excellent, et qu'en se taisant, on ne fait aucun tort, aucun mal à personne, mieux vaut se taire.
Telle une blanche apparition de princesses, le lac du soir luisait au loin, blafard, d'une pâleur spectrale.
Il n'y a de joies véritables que celles qui sont innocentes.
Une nuit, alors que je passais sous un pont, une fabuleuse figure nocturne, une démone, vint à ma rencontre, vêtue à ravir, de haute taille, avec une fantastique chevelure noire et une longue traîne. La traîne était comme tissée de roses ; la robe soulevée très haut laissait les belles jambes dégagées jusqu'aux cuisses épanouies. Les cheveux et les yeux étaient plus noirs que les ténèbres, les bas, blancs comme neige. "Tu viens avec moi? " demanda-t-elle. La question était superflue.
"... Laisse donc la passion en paix et fais un effort sur toi-même. Comme tu pourrais être beau, grand et ardent, dans un effort triomphant. Mais tes chimères hasardeuses te tuent, et le rêve que tu te fais de la vie t'ôte la vie. Renoncer à la grandeur : ne pourrait-il pas y avoir là aussi de la grandeur ?
Car tout est douleur."
C'est ainsi qu'elle lui parlait. Par la suite, Hölderlin quitta cette maison, erra encore quelque temps dans le monde, puis sombra dans une folie incurable.
La vie me prit par l'épaule et planta dans mes yeux son merveilleux regard. Le monde était vivant comme toujours, et beau comme aux plus belles heures.
Je me retirai sans bruit et sortis dans la rue.
Ce qu'on appelle la beauté d'antan exerce une attirance extraordinaire sur certains êtres. Les ruines ont quelque chose de touchant. Notre être intime pensant et sensible s'incline malgré lui devant les vestiges de la noblesse. Les débris de ce qui fut un jour élégant, distingué et brillant nous inspire une pitié mêlée de respect. Passé, décrépitude, que vous êtes enchanteurs !