Arnaud s'agenouilla avec précaution et inspecta la cavité, qui ne lui parut pas très profonde. Et soudain il resta pétrifié. Une paire d'yeux le fixait. Des yeux immenses aux pupilles jaunes. Sa respiration s’accéléra quand il découvrit qu'autour de ce regard, il n'y avait rien, seulement l'obscurité déchirée par le faisceau de sa lampe.
Arnaud savait qu’il rêvait, mais il n’arrivait pas à se convaincre que tous ces murmures sortaient de son imagination et que, devant ses paupières fermées, se trouvaient des arbres. Pourtant, il lui suffisait d’ouvrir les yeux, mais il n’y arrivait pas. Il ne maîtrisait plus son corps.
Le bruit devint plus assourdissant, les grondements se firent plus pressants et la voix plus distincte. Un mot jaillit et frappa brutalement son esprit : Artahe. Ses paupières s’ouvrirent aussitôt alors que les derniers lambeaux de rêve s’évanouissaient.
Ne nous parlez pas des technocrates européens, le coupa une nouvelle fois André qui était resté debout, ne voulant pas laisser la parole au thériologue. Ils nous dictent un tas de lois depuis leurs bureaux, sans rien connaître de notre vie et ne cherchent pas à appréhender notre situation. Vous n’avez pas encore compris que la nature est sauvage, qu’elle ne connaît qu’une loi : celle de la survie.
En moins de dix minutes, la colline était devenue un véritable charnier. Accompagnée par la jeune fille, la vieille femme se promena parmi les cadavres et les agonisants. Elle rappela les ours qui firent un cercle autour d’elles. Puis elle se pencha sur un des trois animaux qui avaient été tués et le dépouilla méthodiquement.
Après le coucher du soleil, le squelette reconstitué de l’ours se trouva placé sur un autel au milieu de la vingtaine de huttes qui constituaient le village. Les survivants vinrent se prosterner à tour de rôle devant l’effigie puis allèrent disposer les corps des soldats romains au pied de la pierre.
Partout on ne parle que de tourisme vert pour sauver nos campagnes. Certains disent que c’est l’avenir. Une nature domptée, calme, bien propre, de beaux chemins pour le VTT, de beaux ruisseaux bien sages pour le rafting et pas de cloches ou de coqs pour déranger le touriste quand il dort le matin. Voilà le grand projet qui va bousculer Raynat. Notre village va devenir le lieu touristique où l’ours sera la star. Mais des ours tranquilles à l’intérieur d’enclos. Moi je suis pour l’ours, mais libre et sauvage.
Je me moque de la politique, poursuivit le fermier. L’écologie, c’est ici qu’elle commence, pas dans le discours de nos représentants.