Pour elle, l'armée apparaissait comme le seul moyen de gravir l'échelle sociale. Même si elle savait que le racisme et le sexisme y demeuraient toujours présents, elle possédait l'intime conviction de pouvoir les affronter tous deux.
Elle connaissait son pouvoir sur les hommes, du simple chauffeur de taxi au président des U.S.A., aucun ne pouvait lui résister.
Vous avez échoué à me tuer pendant plus de cinquante ans, je suis sûre que vous êtes capable de me rater avec une arme collée à ma tête.
Fuir n'était pas la bonne solution quand vous ignorez qui vous attaque et pour quelle raison.
Dans l’armée, les soldats parlaient souvent entre eux du retour au pays et de la façon dont les civils les accueilleraient.
Tous gardaient encore en mémoire le traumatisme des vétérans du Vietnam, laissés à l’abandon, pratiquement considérés comme des pestiférés. Nombreux étaient les soldats à avoir sombré dans l’alcool ou la drogue, ou qui avaient fini par se suicider. L’accueil réservé aux mutilés était souvent terrible, comme si les civils, honteux d’apercevoir à un coin de rue un héros amputé d’un bras ou d’une jambe – voire des deux – d’une guerre qu’ils avaient cautionnée, préféraient désormais les ignorer. Sans parler de la difficulté pour eux de dénicher un travail, même modeste.
Quand il se réveillerait, John Fitzgerald Kennedy se souviendrait du plaisir pris ensemble, mais aussi, de lui avoir confié une histoire qu’elle n’aurait jamais dû entendre. Il se maudirait sûrement de son inconscience, d’avoir parlé sur l’oreiller, mais Marilyn le connaissait bien : sa carrière passerait avant tout. Il étoufferait rapidement ses scrupules. En une fraction de seconde, il déciderait de se débarrasser d’elle. Après tout, elle était quantité négligeable, une simple actrice qu’il pouvait sacrifier au nom de la nation.
Le regard des deux frères avait montré la puissance de son pouvoir d’attraction. Tous deux la désiraient. Bobby avait lui aussi été son amant, mais il n’était pas le Prez, juste un simple ministre de la justice.
Elle ne le voyait pas, mais elle savait que ses yeux étaient posés sur elle. Lui, John Fitzgerald Kennedy, l’homme que vénérait l’Amérique, l’homme qui dirigeait l’Amérique, l’homme qu’elle aimait toujours et qui l’avait rejetée pour une autre.
Plus rien, ni personne, ne pouvait s’interposer entre eux. Surtout pas sa diablesse de femme qui avait décidé de bouder la cérémonie lorsqu’elle avait appris sa présence. Cette nuit, Marilyn se l’était jurée, il serait à elle.
Pour une simple nuit, car elle le savait désormais, elle ne ferait jamais partie de son univers. Son vieux rêve de devenir la première dame était impossible. Elle y avait cru, avant, quand il le lui avait fait miroiter… mais aujourd’hui, la réalité avait repris ses droits.
Elle était une vulgaire actrice ; et lui, le maître du monde libre.
Elle avait compris qu’elle tenait l’assistance sous sa coupe. Personne n’osait parler ni même murmurer. Elle possédait sur chaque participant le pouvoir absolu. Mais un seul lui importait : le Prez, comme elle l’avait surnommé dans l’intimité de leur étreinte.
Elle ne pouvait pas se présenter totalement nue devant l’Amérique puritaine.
L’accroc rapiécé, elle avait repris sa marche, difficile, dans sa robe moulante. Fière, elle s’était avancée en direction des projecteurs. Ce soir, elle entrerait de plain-pied dans la légende.