Dans un décret publié le 25 septembre 2017, le roi d'Arabie saoudite a ordonné « de permettre d'accorder le permis de conduire aux femmes ».
L'Arabie restait le seul pays au monde où les femmes n'avaient pas le droit de prendre le volant. Pourquoi ? Il faut croire que Dieu, né bien avant l'invention de l'automobile mais qui a plusieurs coups d'avance, en a décidé ainsi - relisez bien les textes sacrés, on peut justifier toutes les décisions masculines en 'Son Nom', depuis des siècles et des siècles...
Dans ce royaume ultraconservateur du Golfe, les femmes restent mineures à vie, ne pouvant échapper à l'autorité du père ou des frères qu'en se mariant, passant ainsi sous la tutelle du conjoint - y a intérêt à bien le choisir, celui-là, sauf que les mariages sont généralement arrangés.
Cette bonne nouvelle a été médiatisée. J'ignorais en revanche que ce décret fait suite à trente années de lutte des femmes saoudiennes pour acquérir ce droit. On le voit dans cette BD, qui montre le parcours d'une militante dans les années 90, une jeune femme ayant vécu en Occident et refusant de reprendre son joug en revenant dans son pays d'origine.
Après la découverte de cet album enrichissant, aussi agréable que les ouvrages de Marjane Satrapi, j'ai relu le chapitre que Julien Blanc-Gras consacre à l'Arabie Saoudite dans son dernier carnet de voyage. On y apprend que c'est « le seul pays au monde qui ne délivre pas de visa touristique. [...] Même la Corée du Nord admet quelques voyageurs sous étroite surveillance. [...] La Mecque [...] est interdite aux non musulmans [alors que] les non catholiques peuvent venir au Vatican, les non hindous à Bénarès, les non juifs à Jérusalem. [...] L'apostasie, l'homosexualité ou l'adultère sont passibles de la peine de mort, en général pratiquée sous forme de décapitation sur la place publique. »
Mais (et c'est toujours Julien Blanc-Gras qui parle) :
« Toutes ces joyeusetés ne scandalisent pas outre mesure les chancelleries occidentales d'ordinaire si promptes à dénoncer les manquements aux droits de l'homme. Il faut dire que tu pèses lourd en pétrole, en contrats, en diplomatie et en influence religieuse. Et que ton alliance inébranlable avec les Etats-Unis (pétrole contre sécurité) te protège. Il faut reconnaître que tu es habile, tu as quand même réussi à prendre la tête d'une commission du Conseil des Droits de l'Homme aux Nations Unies, ce qui revient peu ou prou à confier la protection de l'enfance à Marc Dutroux. »
('Dans le désert', p. 111-113)
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1990, Arabie Saoudite. Nour revient d'une parenthèse de 5 ans à Londres où les femmes sont libres. Rendez vous compte : pas de tuteurs masculins, des droits ! Elle rencontre un groupe de féministe, et un jour, elles se prennent un droit : celui de conduire (et de prendre des photos, ce qui fait 2, en fait).
Et il aura fallut attendre 27 ans avant que ce droit ne leur soit accordé. Tout arrive, il faut simplement de la patience (beaucoup, beaucoup de patience)
Ce que montre cette BD, c'est l'énorme hypocrisie du régime saoudien (c'est pas une surprise, hein). C'est un pays qui a admit petit à petit que les femmes éduquées qui l'habitent sont une force économique. Elles ont peu à peu acquis plus de liberté (mais toujours pas la majorité), peuvent voter, être élues, être cheffe d'entreprise... Mais ne peuvent prendre le volant que depuis 2017, alors même qu'elles conduisent à l'étranger. A la suite de la voiture d'Intisar ou du Monde d'Aïcha (mais la question de la voiture ne s'y pose pas), Chloé Wary interroge les sociétés fondamentalistes, mais aussi le regard que nous avons sur elles : il y a ce qu'on nous montre, et les mouvements souterrains plus ou moins invisibles en Occident.
Et en plus, c'est un dessin assez original et agréable à regarder, qui semble être dessinée au stylo bille. Ca donne un côté assez "pris sur le vif", avec du mouvement, tout en étant précis.
Une bonne histoire, un chouette dessin, un portrait de femme qui se rebelle, que demander de plus ?
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