Dalton, Dakota du Nord, 1951. George et Margaret Blackledge forment un couple attachant de jeunes retraités. Parents de jumeaux, ils ont perdu leurs fils lors d'un accident de cheval inconcevable pour un jeune homme aussi aguerri. Ils pourraient bien perdre aussi leur petit-fils chéri, le petit Jimmy, quatre ans à peine. Leur belle-fille Lorna vient en effet de se remarier avec un dénommé Donnie Weboy et de le suivre dans le Montana.
Margaret ne tient pas le jeune couple qui a la garde de Jimmy en haute estime et le soupçonne même de maltraitance à son endroit. Rongée par ses angoisses et son désir de revoir son petit-fils, elle a pris sa décision : elle va partir à la recherche du couple et espère en secret ramener Jimmy dans le foyer aimant de ses grands-parents. Ancien Shérif à la retraite, George n'est pas convaincu par le bien-fondé de l'épopée dans laquelle son épouse a décidé de se lancer. Lorsqu'il saisit que Margaret partira avec ou sans lui, il comprend qu'il n'a d'autres choix que d'accompagner sa bien-aimée dans son improbable quête.
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L'un des nôtres » commence par le voyage de deux sexagénaires, qui ont emporté une tente canadienne et se dirigent vers la bourgade de Gladstone, sur les traces de Donnie et Lorna. Un voyage à l'ancienne où le couple traverse des paysages inviolés, rencontre un Indien pêcheur, et dort dans une cellule que le shérif de Gladstone leur offre en guise de gîte improvisé.
Larry Watson prend son temps. le temps de planter le décor d'une intrigue, où les seuls drames sont ceux qui se jouent au creux des âmes déchirées de Margaret et George qui ne se sont pas remis de la perte de leur fils, et pressentent qu'une ombre maléfique plane au-dessus du destin du dernier Blackledge, tel un milan noir dessinant de longs cercles concentriques avant de plonger sur sa proie. Si le début du récit ressemble davantage à un roman de nature writing qu'à un roman noir, la donne change brusquement lorsque le couple rencontre Bill Weboy. Bel homme à l'aura malfaisante, ce dernier leur fait comprendre que le clan Weboy, réfugié dans les montagnes, règne en maître sur la région et que le couple de retraités n'est pas le bienvenu.
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À rebours du schéma « classique » du roman noir américain, qui commence souvent par un drame violent et cruel, plongeant son héros au coeur des ténèbres, et se poursuit par une quête de rédemption à l'issue de laquelle ce dernier pourrait bien revoir la lumière, «
L'un des nôtres » débute en douceur, en s'attardant sur les fêlures qui traversent un couple de retraités aimant.
Un couple qui aurait tout aussi bien pu laisser Jimmy avec sa mère Lorna, si Margaret n'avait été rongée par le pressentiment que son petit-fils était en danger, auprès d'une mère désinvolte et d'un beau-père cruel. Et pourtant. le couple part bel et bien à l'aventure. Si le début de la quête du dernier Blackledge se passe sans encombre,
Larry Watson nous emporte dans une intrigue qui s'obscurcit chaque page davantage, telle la lumière de l'astre rouge qui disparaît à l'horizon des champs dorés ployant sous le vent de l'orage qui s'annonce.
Sous un abord « bon enfant », qui tient à la bonhomie bougonne de George, se dissimule un authentique roman crépusculaire, qui emporte nos protagonistes au coeur d'une nuit sans lune, à la rencontre du clan Weboy, qui n'entend pas abandonner Jimmy sans combattre. «
L'un des nôtres » déroule un récit linéaire, évoquant de prime abord un road trip dans une Amérique aussi rude que chaleureuse, avant de se transformer en authentique roman noir. C'est paradoxalement le classicisme absolu d'une intrigue quittant la lumière pour plonger dans les ténèbres, qui confère au roman de
Larry Watson une force de percussion inattendue, et frappe le lecteur en plein coeur.