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Critique de Apoapo


Apoapo
12 septembre 2021
Cette biographie très complète et sensible de la voyageuse Ella Maillart possède de nombreux mérites. le principal est contenu dans la lettre du sous-titre : « Sur les traces d'Ella Maillart ». En effet Weber, lui-même voyageur au long cours, connaisseur de l'Afghanistan et de l'Asie centrale, tout au long des étapes de la longue vie de l'auteure (1903-1997), scandées chronologiquement en vingt-trois chapitres, croise toujours le récit biographique avec celui de son propre séjour ou itinéraire sur les lieux dont il est question, étant presque en quête d'une communion mystique avec le « fantôme » de la disparue, à la recherche des personnes qui ont pu garder un souvenir d'elle, outre que des paysages que son appareil photo a immortalisés, des lectures qu'elle a faites et des réflexions qui ont sans doute été les siennes – notamment sur le déclin du nomadisme, sur la modernité occidentale suicidaire, sur le voyage intérieur. Cette communion, très souvent déclarée explicitement, se révèle aussi dans le naturel avec lequel l'auteur interpelle sa muse, et l'appelle la plupart du temps par son prénom ou son petit nom : Kini, sans pour autant afficher la prétention d'avoir décelé tous les nombreux mystères dont elle a semé son chemin. Les difficultés du parcours, le vocabulaire propre aux moyens de transport (en particulier la technicité du lexique de marine), les renvois historiques, géographiques, géologiques, cultuels permettent une grande identification entre les deux voyageurs et un effet de miroir entre les récits que parfois seuls les guillemets permettent de clarifier. Les secrets de Maillart restent bien gardés, mais l'oeil complice du congénère qui retourne sur les mêmes lieux trois générations plus tard dans le but d'effectuer un voyage mémoriel, surtout en Afghanistan, offre une perspective très intéressante sur les permanences et les mutations.
Dès le Prologue et le Chapitre premier, la biographie est placée sous le prisme de la centralité du voyage en Afghanistan accompli en compagnie d'Annemarie Schwarzenbach, relaté dans le Voie cruelle, livre rédigé en Inde suite au décès accidentel de l'amie.
Certes, le parcours de voyageuse d'Ella Maillart se divise en trois parties donc chacune pourrait remplir une existence entière : la navigation en voilier, depuis l'inspiration inaugurale par Alain Gerbault, mais surtout dès l'amitié d'enfance avec sa voisine, coéquipière et complice Miette de Saussure, peut-être jusqu'à sa prise de conscience qu'elle et Miette ne pourront plus naviguer ensemble ; les aventures centre-asiatiques, montagneuses et désertiques des années 30, depuis l'exploration de l'Union soviétique et le premier reportage écrit sur celle-ci : Parmi la jeunesse russe ; puis le voyage introspectif et immobile, depuis la séparation d'avec Annemarie Schwarzenbach suite à laquelle Maillart se rend dans un ashram en Inde du sud, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis se retire dans un chalet dans le village alpin le plus haut de Suisse, à Chandolin – à l'âge encore jeune d'environ 40 ans. de là, si elle voyage épisodiquement par mer et par terre, ce n'est que pour accompagner des touristes et non pour vivre des aventures qu'elle relaterait ensuite dans un volume. Dans sa vieillesse, même avancée, elle vit une retraite qui n'est pas un retrait ni un ermitage d'où la relève des jeunes voyageurs serait exclue. C'est le cas en particulier de Nicolas Bouvier, qui recevra sa bénédiction et son viatique, et de Michel le Bris qui se fera le promoteur de la réédition et du renouveau de l'intérêt éditorial pour ses livres, 60 voire 70 ans après la première parution.
A l'issue de cette lecture, on peut se demander quel fut l'élément unificateur, immuable et caractérisant cette épopée existentielle tellement singulière : si l'écriture semble exclue, Weber, dans le titre de l'ouvrage, privilégie l'hypothèse de la négation de l'enracinement, de l'urgence de la partance : peut-être est-ce là la raison de l'importance de la réflexion sur le nomadisme qu'il lui prête ; pourtant, si l'errance de l'auteure a été précoce, sa sédentarisation semble l'avoir été même davantage ; par contre, sa quête semble avoir été toujours la même, tout intérieure, durant et après les déplacements - une quête extrême de l'âme du monde et de la sienne propre, par des voyages qui le furent autant, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus suffisants ou bien plus indispensables...
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