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Critique de Lamifranz


Qu'ont de commun entre eux les Docteurs Frankenstein, Jekyll, Moreau, Lerne, Mabuse… et plus près de nous le Dr Lecter (ex-psychiatre), les savants qui ont mis au point les créatures de Jurassic Park, et dans la vraie vie (hélas !), le Dr Mengele ou le Dr Petiot ? La réponse est facile : ce sont des savants fous : fous de véritable folie, pour certains, fous d'une certaine folie qui leur font faire des choses hors du commun, des découvertes qu'ils jugent « scientifiques » (c'est leur prétexte et en même temps leur alibi). L'autre point commun, c'est que ces « inventions » font froid dans le dos : que ce soit la mise au point de manipulations psychologiques de très haut niveau, ou de la tentation prométhéenne de recréer la vie.
« L'île du Docteur Moreau » paraît en 1896. Il est important de situer ce roman dans son époque. Nous sommes en pleine ère victorienne, la modernité s'annonce dans tous les domaines. Les recherches médicales sont en pleine expansion, le public montre un engouement certain pour les découvertes scientifiques. Wells est déjà un passionné des sciences naturelles. C'est un Darwiniste convaincu. Il en épouse les théories, et aussi dans une certaine mesure, l'athéisme. Ces notions, on les retrouve assez clairement dans ce roman qui se situe à mi-chemin entre Frankenstein (de Mary Shelley) et Jurassic Park (de Michael Crichton) : une évolution dans la re-création de la vie.
Edward Prendick, victime d'un naufrage, est recueilli sur une île par un nommé Montgomery. Cet homme est l'assistant d'un personnage singulier, le Docteur Moreau. Prendick, découvre avec horreur les expérimentations faites par cet apprenti-sorcier doublé d'un démon mégalomane ; il fait greffe sur greffe sur des animaux, multiplie les opérations chirurgicales, afin de recréer un être doué de vie et de pensée, comme l'homme. Les créatures, ainsi générées par sa folie, sont parquées dans un espace où Moreau est le Maître tout puissant. Mais un jour vient où les « hommes-bêtes » se révoltent et tuent leurs bourreaux.
Si Jules Verne est plutôt optimiste (sauf dans les dernières années), Herbert George Wells donne carrément dans le pessimisme noir : la science a plus de côtés négatifs que positifs, et va donc à l'encontre du but qu'elle se propose, amener l'homme vers une vie meilleure. A travers le cas particulier d'un « savant fou », il pose le problème de l'éthique scientifique. Mais ce n'est certes pas le seul thème soulevé par ce roman captivant : la relation homme-animal, la cruauté (excusée par la science), l'identité (que sont véritablement les « hommes-bêtes » ?), la mégalomanie, l'emprise sur des êtres inférieurs, l'autorité arbitraire au moyen d'une « loi » qui sert le Maître et lui seul…… le problème religieux n'est pas posé ici (seul Dieu – s'il existe – a le pouvoir de créer la vie ?), mais le problème philosophique et métaphysique est bien réel : « Je pense, donc je suis » disait Descartes. Mais que « sont » ces êtres doués d'une « sorte de pensée » ? le héros connaît une expérience terrible : il sait déjà, depuis Darwin, que l'homme est un maillon dans la chaîne de l'évolution (un animal, donc) mais il prend conscience que cette évolution peut être déviée, voire dévoyée. L'histoire quelques années plus tard donnera corps à ces craintes : au nom de la science, des expérimentations cruelles sur des animaux et même des humains (cf. Mengele) seront effectuées, en dehors de toute éthique, a fortiori de toute compassion pour l'être vivant qui en fait l'objet.
Roman très fort, donc, qui pose beaucoup de questions, et en même temps un beau roman d'aventures et d'horreur, qui fera des émules (le Docteur Lerne, de Maurice Renard, paru douze ans après) et tous les « savants fous » que fournissent les auteurs du fantastique contemporain.
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