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Critique de afriqueah


Etre esclave au début du XIX· siècle en Géorgie, c'est un statut immuable, personne normalement ne peut s'échapper, car les maitres ont payé, et ne peuvent admettre que leurs biens, duquel ils disposent, s'en aillent. Eux peuvent revendre, à des particuliers ou dans des ventes aux enchères, dans des liquidations, et même au gouvernement, avec des conditions avantageuses : prêts et déductions fiscales. Mais il est impensable que des biens meubles, ce qu'ils se sont ingéniés à faire croire à propos des africains razziés dans les campagnes, massés sur les côtes, il est impensable que ces biens meubles s'échappent, car ils sont repris et crucifiés après tortures immondes en présence d'invités blancs de marque.
Ce qu'ils ne feraient pas à leurs animaux, ils le font subir à leurs esclaves.
Pour cela, ils payent des chasseurs, qui traquent les évadés.
Les esclavagistes ont payé leur main d'oeuvre pour travailler dans les champs de coton et d'indigo, alors pour faire accepter leurs exactions, ils ont fait croire et essayé de leur faire croire que cette main d'oeuvre n'était en fait pas vraiment des êtres humains.

Ça déculpabilise une bonne fois pour toutes.


Underground railroad, c'est l'odyssée d'une esclave née dans une plantation de coton, petite fille d'une dahoméenne capturée, qui tente tout de même le coup, et s'évade, comme beaucoup d'autres et comme sa mère l'a fait.

Colson Whitehead , à partir d'un fait réel, l'existence de certaines routes dont il existe une carte, routes qui sont prises par les esclaves pour sortir des Etats cotonniers esclavagistes et aller vers le Nord, imagine des chemins de fer souterrains, avec chefs de gare, conducteurs, réseau d'information, ceci organisé par des blancs qui risquent leur vie. L'abolitionnisme commence, mais dans le Sud posséder des écrits le prônant c'est la peine de mort assurée. Si tous les Noirs, qu'ils soient en fuite, affranchis, ou même complètement innocents sont lynchés (ces derniers, pour l'exemple,) et transformés en strange fruit, comme chaque vendredi, durant les festoiements des villages de Caroline du Nord, lynchages attendus et applaudis par la foule en délire, les Blancs les ayant aidés, ou cachés sont eux aussi exterminés.

Cependant, l'immigration irlandaise, sans intégration, fuyant la grande famine de leur pays pour retrouver la misère , les taudis, les égouts de l'Amérique, n'a fait qu'ajouter à l'opposition pas résolue entre le Sud esclavagiste pas prêt à accepter une « invasion noire » et le Nord, abolitionniste.
Ces Irlandais ou Allemands qui seraient payés et feraient le travail des Noirs, le coton, seraient une solution possible, cependant ils ne règlent pas le racisme.


Pourquoi a t il été si compliqué pour les Etats Unis de se dépêtrer de l'esclavage ? le roman se situe avant la guerre de Sécession, et déjà les utopies nordistes d'émancipation se heurtaient à l'idée sudiste qu'aucune compensation ne serait donnée pour les propriétaires, inacceptable puisqu'ils avaient payé, ça oui, ils avaient payé.
Il explique les racines du futur Ku Klux Klan, la raison de la guerre qui a affronté Nord et Sud, la difficulté pour Lincoln de faire admettre la Proclamation d'émancipation, et aussi le courage infini de ces esclaves qui bravaient les pires tourments en essayant de s'enfuir, et le courage infini des Blancs qui les aident comme ils peuvent à gagner le Nord.
Livre addictif, par la manière de nous faire côtoyer Cora, la petite maligne, qui sait que, même si elle a passé une grande partie de sa vie dans les chaines, chaque personne a son « maillon faible ». Et qui, comme Shéhérazade, parle à son futur bourreau, gagnant ainsi un temps précieux. Elle apprend à lire dès qu'elle le peut, alors que comme il est interdit de penser, il est interdit de lire dans la plantation, crime puni par la perte de ses yeux.

La situation de la petite rusée semble parfois s'améliorer, lorsqu'elle figure dans un zoo humain, où la vie dans les plantations est idéalisée, elle file le coton, assise derrière un rouet, puis connaît l'enfermement durant des mois dans un cagibi d'un coin de grenier, puis est dénoncée, et assiste à l'affrontement entre ceux qui veulent la pendre en public pour réjouir les villageois, et le chasseur de tête payé par le propriétaire pour la ramener.

Livre qui nous fait comprendre que la peur des blancs des Etats esclavagistes, refusant l'émancipation, est non seulement économique, mais aussi une peur « qu'ils nous prennent nos femmes », qu'ils se reproduisent et que leur nombre dépasse le nombre des blancs.

Peur sexuelle et démographique.

Peur aussi, pour ces protestants dont l'un récite les versets de la Bible à chaque coup de fouet qu'il assène, de l'enfer qui les attend. Ou que ces hordes sauvages venus de la jungle ne se vengent comme Nat Turner.

Peurs qui se cumulent et s'aggravent, dans ce Sud cotonnier pétri de bêtise et de petitesse comme certains enfants dénonçant leurs parents, ou voisins , ou même mari voulant se débarrasser de sa femme, volonté de stériliser les anciennes esclaves, récits moqueurs sur la fuite d'esclaves « à cause d'une peccadille », essai de faire croire que si les Noirs sont en esclavage, ils l'ont bien cherché, si les Amérindiens se sont fait décimer, ils ont perdu le combat, et pourtant grandeur et courage des
« Blancs justes » risquant leur vie.
Colson Whitehead en écrivant ce sublime livre, à la fois réaliste sur la condition des esclaves des plantations, et à la fois imaginatif, comme la couverture de son livre, où l'on voit les rails s'élever dans le ciel et devenir oiseaux, a voulu rendre hommage à ses ancêtres, il le fait d'une façon bouleversante et percutante.

A LIRE ; A MEDITER ; A GARDER ; A FAIRE LIRE
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