Il aurait pu lui raconter l'histoire du grand auteur de Hatam Sofér que le jeune fils interrogea sur une question concernant la foi. Le père lui répondit une semaine plus tard. "Est-ce possible, demanda le fils, que tu aies eu besoin de tout ce temps pour trouver une réponse à ma question?
- Non, lui répondit son père. J'aurais pu te la fournir aussitôt. Mais j'ai voulu te faire comprendre ceci: on peut très bien vivre uniquement avec des questions; et puis, sache que certaines questions restent à jamais sans réponse."
Mais Pavel avait besoin de réponses. Il les poursuivait. Parfois, à la scierie où ils travaillaient côte à côte, les deux jeunes Juifs discutaient. L'origine de l'univers, l'âge de l'homme, l'énigme du libre arbitre dans un dessein divin, le sentiment tragique de la vie et plus encore celui de la mort: comment les expliquer?
Assassins et bourreaux peuvent-ils se définir et se distinguer les uns des autres, sous prétexte qu'ils agiraient au nom de principes différents et obéiraient à des lois qui n'auraient rien en commun sinon logique du sang versé des innocents? Mais, allant plus loin, peut-on s'interroger sur la place de l'innocence dans le projet révolutionnaire ? Et si celui-ci tirait sa force implacable du fait même qu'il condamne l’innocence plus que la culpabilité supposée de ses victimes ? Et si ce qu'on appelle la Révolution n'était à la limite, que la première et ultime phase du Mal, dans les domaines variés des théories inventées par des hommes qui se servent de leur pouvoir pour déshumaniser l'Histoire. (P. 284)
Shaltiel pensa : lui demander où la beauté se dissimule dans cette geôle improvisée ? Dans le spectre de la Mort, de ce côté du mur ou de l'autre ? Ou dans le fait mêm?e que, bien qu'au seuil du pire, deux êtres humains restent capables de cette noblesse qu'est l'amitié
Avec les années et les convulsions de l'Histoire, le mot - comme le dictionnaire, lui-même réducteur - connut des métamorphoses aberrantes. Dans certaines contrées on lui préfère "déstabilisation". Il n'existe plus de pays pauvres mais "défavorisés" ou "sous-développés". On dit "intoxication" plutôt que "propagande"". De nos jours, on mentionne la révolution dans la mode, la musique et l'électronique. Beaucoup d'encre, pas de sang. Affaire de profit, non de vérité.