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Critique de Soleney


Perturbant : voilà comment je pourrais résumer mes impressions sur les textes d'Audrée Wilhelmy. Après Oss et Les Sangs, je découvre son petit dernier. de tous, c'est celui que j'ai pris le moins de plaisir à lire. Il m'a semblé que la qualité du texte, très présente dans les deux premiers, s'était effacée au profit du gore, du choquant.

En soi, l'histoire ne m'intéressait pas plus que cela : c'était pour le nom de l'auteure que j'ai acheté ce livre.
Comme à chaque fois, il n'y a pas de contexte. Cette histoire pourrait se dérouler n'importe où, n'importe quand, mais (dans le cas du Corps des bêtes comme d'Oss) plutôt dans un coin très froid, très isolé et très pauvre. C'est l'histoire d'une famille repliée sur elle-même, vivant de presque rien, n'étant pratiquement pas en contact avec l'extérieur. Tout d'abord, une mère et ses deux enfants survivants. Puis une Vieille, deux frères rivaux, une étrangère au centre de leur conflit, et les petits nés de la tension sexuelle qui plane. Il y a huit parties, chacune alternativement consacrée à l'un des deux narrateurs : Osip et Mie.
Osip est le frère cadet, éternellement dans l'ombre de l'aîné. Un mot pour le résumer : frustration. Dès tout petit, on apprend qu'Osip a une libido galopante, née peut-être de l'isolement dans lequel il grandit, de l'imagination qui remplace la réalité, de la crainte (peut-être ?) de ne jamais trouver de partenaire (j'interprète comme je peux). Impossible de savoir avec certitude la source de ce désir démesuré, mais toujours est-il qu'à peine pubère, il éprouve déjà une profonde attirance pour le corps de sa mère. Malsain ? Étrange ? Oui.
L'arrivée de Noé, l'étrangère qu'on a mariée à son aîné (Sevastian-Benedikt pour les intimes), ne peut donc qu'enflammer ses hormones déjà soumises à forte pression. Pendant des mois, des années, Osip navigue entre le besoin irrépressible de goûter à la chair et la crainte de l'irréparable. Coucher avec la femme de son frère, ce trappeur hors pair, cette créature sauvage qui connaît mieux la forêt que sa propre maison, ne sera pas sans conséquence.
Et Noé, dans tout ça ? Noé, on se fiche bien de savoir ce qu'elle veut. Ce n'est pas comme si elle pouvait vraiment décider, de toute façon. Les hommes ont des besoins, donc qu'elle se taise et qu'elle ouvre les cuisses !
Noé, on la connaît déjà : c'était l'un des personnages d'Oss, le premier texte d'Audrée Wilhelmy. Une jeune fille secrète, torturée, à la fois indépendante et soumise à la libido des mâles (cela n'a pas changé : elle a beau être dégourdie et vivre seule dans sa cabane toute pétée, si l'un ou l'autre des frères veut du sexe, la voilà contrainte de se laisse faire). Mais la frontière entre le consentement et la résignation est mince avec elle, et le doute persiste : accepte-t-elle parce qu'elle aime ça ou parce qu'elle sait que cela ne sert à rien de lutter ?

Et puis il y a Mie. Mie sans qui le titre n'aurait pas été le même. Mie qui a le don de voyager de corps en corps, de devenir n'importe quel animal. Mie qui, à douze ans à peine, découvre le sexe avec eux et se prend d'envie pour essayer avec un humain. Mais pas n'importe lequel : son oncle Osip (de toute façon, ce n'est pas comme si elle avait l'embarras du choix, ses petits frères ne sont pas encore pubères…). Mie qui déroute avec sa façon de penser, plus adulte qu'enfant, avec son regard analytique, sa compréhension du monde. Elle est déjà très consciente des pouvoirs de chacun : ceux des deux frères qui s'affrontent, mais surtout celui de sa mère. Secrète, désirée, convoitée, consommée, compétente, silencieuse : Noé enflamme fantasmes et imaginaires. D'où lui viennent toutes ces marques sur la peau ? D'où vient-elle tout court ? Comment a-t-elle appris à dépecer une baleine ? Qui lui a appris ses chansons ?

Dans ce roman, l'auteure s'attaque à la figure de la mère : les relations filiales sont toujours sous-tendues de sexe et d'envie (pour les petits garçons), d'incompréhension, de distance, de froideur (pour Mie)… Des relations qui seraient facilement qualifiées de malsaines dans notre monde, mais qui touche à la normalité dans cet univers replié.
Les pères, finalement, n'ont que peu d'importance : ils sont morts, absents, considérés simplement comme des géniteurs par leurs enfants. Des figures oubliables, dispensables.

Je referme ce livre avec un indéfinissable sentiment de soulagement mêlé de songerie. C'était poisseux comme un vêtement lavé dans la mer : une ambiance glauque qui colle à la peau – c'est toujours mieux que de ne rien ressentir.
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