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Critique de UnKaPart


Elle a été conquise moult fois, cette forteresse. D'abord paru aux Presses de la Cité en 1982 sous le titre le donjon, le roman sort aussi la même année chez France Loisirs. Deux ans plus tard, on le trouve chez J'ai Lu, rebaptisé La forteresse noire par un traducteur fantaisiste, pas très au fait de l'architecture médiévale. The Keep, c'est un donjon, pas une forteresse complète, et où tu vois du black dans le titre en VO ?… le bouquin poursuit sa route pour atterrir en 1993 en Pocket Terreur, avant d'être réédité chez Fleuve Noir dans la collection Thriller fantastique quand le catalogue change de main en 2003. Depuis il a été repris par Milady en 2009 sous une couverture qui pique les yeux. Dans cette chronique, nous parlerons de la version Fleuve. Enfin, “nous”… C'est je qui va parler pendant que vous lisez en silence. J'entends un mot, un seul, et c'est direct un tour gratuit en catapulte pour un cours immersif de balistique en tant que projectile.


Avril 1941, une escouade de la Wehrmacht est envoyée garder une vieille forteresse dans les montagnes de Transylvanie. Petite mission pépère de surveillance pour le capitaine Woermann. Vétéran de la Grande Guerre, archétype de l'officier prussien, Woermann n'aime pas les nazis, mais comme ils ont un super plan pour une grande Allemagne avec de la guerre et de la conquête dedans, il les supporte. Sans doute le personnage le plus intéressant du roman, parce que ni tout noir ni tout blanc. À défaut d'incarner le gentil de l'histoire, il s'impose comme le moins méchant, embarqué dans le mauvais camp. Alors bon, Woermann reste un bon gros réac militariste de droite, m'enfin on en trouve chez les Alliés aussi (au hasard, De Gaulle).
La sinécure en altitude tourne court pour les Teutons quand une sentinelle se fait égorger en pleine nuit. Puis une autre la nuit suivante, et encore une autre celle d'après, et ainsi de suite. Dépassé, Woermann demande du renfort.
Arrive à la rescousse un peloton SS sous les ordres du major Kaempffer. Un poème. Cruel pour masquer sa lâcheté ; bourrin qui propose, quel que soit le problème, la même solution : fusiller des civils ; fanatisé, antisémite, assoiffé de pouvoir… le gars coche toutes les cases du cahier des charges. Et le pire, c'est qu'il n'a rien d'une caricature, même si on parfois l'impression qu'il flirte avec le too much. Des comme ça, y en avait plein la SS, véritable symposium de sociopathes, dont le moins barjot aurait fait passer Hannibal Lecter pour un petit chanteur à la croix de bois. Wilson a dû étudier son sujet, vu comment le carriérisme de Kaempffer est bien rendu. Parce que c'était ça aussi, la SS, un État dans l'État qui fonctionnait comme beaucoup d'entreprises de maintenant : la chasse à la meilleure place, où tous les coups sont permis, quitte à mettre des bâtons dans les roues des collègues. On magouille, on évince, on fait du zèle pour être bien vu de la direction, on tape un peu dans la caisse au passage…


La cohabitation entre les deux officiers ne va pas se passer comme sur des roulettes, opposés qu'ils sont en tous points (arme d'appartenance, tempérament, valeurs, méthodes, théories sur l'identité de l'assassin…). Pendant qu'ils se bouffent le nez, les hommes continuent à tomber au rythme d'un par nuit, ce qui ne fait pas les affaires de Woermann, pressé de mettre les voiles pour prendre la tête d'un camp de la mort à Ploiești.
Là-dessus vient se greffer le professeur Cuza, un érudit juif qui connaît bien cette forteresse de pierre noire à l'architecture étrange. Enfin, ça, c'est la théorie, parce qu'en vrai, on se rend compte qu'il n'en sait pas beaucoup plus que les autres, ce qui rend sa présence quelque peu artificielle. Wilson a eu le bon goût d'exploiter la religion du personnage au-delà de l'évidente opposition avec Kaempffer. Disons sans spoiler que certaines questions posées sur le rapport des créatures surnaturelles au symbole de la croix ont une résonance particulière dans le cas d'un personnage juif. Cuza aurait pu être un des personnages les plus intéressants du bouquin, si l'auteur ne l'avait pas encombré de sa fille Magda. On suit plutôt ses pérégrinations à elles, qui ont le défaut d'être creuses, donc de renvoyer son paternel au second plan pour rien. Magda se limite à une astuce d'écriture et ça se voit. Elle est là, parce qu'il fallait caser un personnage féminin. Sauf que si c'est pour ne rien en faire, autant ne pas en mettre. Sa seule utilité se résume à une fonction basique et dépassée : la tarte à la crème de la romance avec le gentil de l'histoire, Glenn le rouquin.
Glenn… Personnage soi-disant mystérieux mais en réalité insipide, bancal et mal construit, tout en facilité d'écriture qui le voit employé comme un deus ex machina. de lui, on ne sait rien, parce que l'auteur triche en ne donnant aucune information… au point de devenir contre-productif. le mystère ne naît pas du rien mais du pas grand-chose. On voit le Glenn bricoler des trucs et des machins censés nous intriguer, sauf qu'on s'en fout, faute d'avoir un bout de bribe d'embryon de début d'amorce des tenants et aboutissants de ses actes, un petit quelque chose qui donnerait du grain à moudre à notre imagination. La meule tourne à vide et puis s'arrête au bout d'un moment.


Avec cette galerie en dents de scie, le roman ne pouvait que suivre le même chemin.
La forteresse noire tient son pari pendant sa première moitié. À la page près. L'édition Fleuve affiche 350 pages au compteur, l'histoire part en vrille à la cent soixante-quinzième. Pile au milieu.
Le château perdu en Transylvanie fonctionne comme décor fantastique. Bon cadre, classique, mais bien troussé. Des éléments d'informations distillés au compte-gouttes par un Wilson en grande forme pour n'en dévoiler ni trop ni trop peu. Ambiance oppressante autour de ces morts successives et inexpliquées, que l'auteur réussit à étirer sur la moitié de l'ouvrage sans donner l'impression de répétition ni d'ennui, alors que le schéma reste le même (donc bien joué). Des hypothèses qui laissent la porte ouverte à toutes les explications. Des partisans pourraient être derrière ces attaques. Ou un type tout seul planqué dans le castel, un Philippe Noiret roumain rejouant le vieux fusil. Ou, moins rationnel, un vampire, parce que dans la région qui a vu naître Dracula, pourquoi pas ? Ou… autre chose.
Et patatras. J'avais senti le vent tourner à un tiers du bouquin, quand Wilson balance une flopée une flopée de titres fictifs : le de Vermis Mysteriis, le Culte des Goules, les Manuscrits Pnakotiques, le Livre d'Eibon, Les Sept Livres Cryptiques de Hsan, les Unaussprechlichen Kulten et bien sûr al Azif (aka le Necronomicon). C'est trop ! “Merlin, il met pas tout à chaque fois”, comme dirait Perceval. Ce foisonnement pour rattacher à la dédicace de l'ouvrage à Clark Ashton Smith, Robert E. Howard et bien sûr Lovecraft. Sauf qu'il ne rime à rien. Artificiel au possible. Les Allemands tombent “par hasard” (aka grosse ficelle scénaristique) sur cette intégrale du démonologiste dont on se demande ce qu'elle fiche là. Rien, mais alors rien DU TOUT, ne justifie la présence cette bibliothèque de l'enfer dans la forteresse. Les bouquins seraient largués en parachute au milieu de la cour que le résultat ne semblerait pas plus artificiel. L'art de torpiller une excellente mise en place avec le détail de trop.
L'histoire se tient encore sur la cinquantaine de pages suivant cette découverte abracadabrante et puis la créature est révélée et elle est nase de chez nase.
Pire que les quelques imprécisions contextuelles (la Garde de Fer en avril 1941 alors qu'elle est dissoute depuis janvier de la même année, bravo…) et les lourdes erreurs de casting (Glenn et Magda), Wilson a commis une faute majeure, rédhibitoire pour un ouvrage fantastique : il a foiré son monstre. Et là-dessus, il en rate la révélation. Double combo.
À partir de là, sprotch, le roman s'effondre d'un coup sans jamais parvenir à redresser la barre, pour se gaufrer dans un final foireux d'affrontement manichéen et millénaire, genre de bagarre à la Caïn et Abel en tout pourri, loin de la menace indicible qui planait dans les premières pages. La forteresse noire aurait pu atteindre le niveau des Montagnes hallucinées, au final elle ne se hisse pas plus haut qu'un pâté de sable hallucinant par ses faiblesses d'écriture.


Un démarrage du tonnerre, une première moitié réussie, toute d'ambiance oppressante, une créature en carton, une deuxième moitié oscillant entre fulgurances géniales (le pouvoir de la croix, la réflexion sur le Mal) et balourdises teintées, une fin expédiée pour ne pas dire torchée à l'arrache. Cette lecture, c'était le voyage du Titanic : fier départ cheveux aux vents et paf, le naufrage.


(Chronique plus complète sur le blog, où je reviens davantage sur la seconde partie que je n'ai pas voulu spoiler ici.)
Lien : https://unkapart.fr/la-forte..
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