Tasmanie, 1874. C'est avec une scène saisissante que
Rohan Wilson ouvre ce superbe roman : un enfant de douze ans vivant dans une extrême pauvreté découvre sur le sol sa mère morte subitement, il fait venir un médecin qui lui demande une fortune juste pour déclarer le décès, écrit une pathétique lettre d'au secours à son père qui a déserté le domicile conjugal, puis s'enfuit. L'auteur a le sens des lieux et des situations, il instaure immédiatement une atmosphère sombre, à la violence lyrique qui entre en résonance avec la quête des différents protagonistes.
Tous sont formidablement campés. A commencer par le père qui va accomplir un voyage désespéré pour récupérer son fils. Ce vagabond sans foi ni loi est un personnage fascinant. Il est dur, a toujours vécu brutalement, condamné pour meurtre à la prison, réformé en s'engageant dans la Guerre noire pour décimer les Aborigènes, prêt à tuer qui se dressera sur sa route. Et pourtant, cet être en tout point détestable est animé par un dévouement paternel comme absolu.
Rohan Wilson parvient à capturer la quête de rédemption de ce père accroché à la lettre de son fils qu'il garde cabossée dans sa poche comme une relique. Les personnages secondaires sont tout aussi beaux et complexes ( malgré une grosse réserve sur le caricatural aubergiste chinois ) et permettent d'élargir les perspectives : un vieil irlandais qui poursuit le père assoiffé de vengeance, accompagné d'un énigmatique personnage encapuchonné portant le nom du légendaire bourreau Jack Ketch ; et puis deux personnages féminins exceptionnellement denses et forts mais dont il ne faut rien révéler ici.
La confrontation est inévitable entre le père et l'Irlandais et lorsque les forces entrent en collision, c'est fracassant tant ils partagent intransigeance et acharnement haineux, dans un monde d'ultranoir où tout n'est que chagrin et souffrance. D'autant plus qu'ils convergent vers la ville de Launceston, en proie au chaos, secouée par de violentes émeutes populaires contre des taxes ferroviaires.
L'intrigue galope, menée par un tempo impeccable pour révéler le passé du père, l'histoire de l'Irlandais et de l'encapuchonné, laissant habilement filtrer les liens qui les unissent jusqu'au duel. L'écriture apporte sa puissance au récit, avec une oreille fine pour les dialogues. En Australie,
Rohan Wilson a souvent été comparé à
Cormac McCarthy, c'est justifié.
Malgré sa tonalité désespéramment sombre qui n'épargne pas le lecteur, l'épilogue dans le cimetière a quelque chose de lumineux, avec peut-être une chance d'échapper à la violence héréditaire pour ceux qui continuent.
« Jane finit par rêver des morts, froids, sous la terre, des morts de partout, de toujours, tous dans leurs tombes avec leurs coeurs battant telles des braises qui palpitent dans l'âtre jusqu'au moment où le feu s'éteint et où la cendre s'amasse, toujours plus de cendres que de braises, plus de mort que de vie, car c'est ainsi que va le monde. Et le don principal des parents aux enfants est dans le lit de cendre qu'ils répandent sur terre pour en faire un lieu où le feu prendra et leur tiendra chaud, une dette recelée dans un nuage de fumée blanche, un sillon de chaleur. Et l'amour se murmure dans le nom des disparus qui ont vécu pour d'autres. »
Un roman somptueux, sale et féroce qui explore brillamment les origines enténébrées de l'Australie.