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Critique de Darjeelingdo


Cela fait des années que Louis Witter, photo journaliste, illustre de façon souvent saisissante le quotidien de ces milliers d'exilés qui fuient les guerres , la répression et la misère : Syriens, Kurdes, Irakiens, Afghans, Soudanais, Érythréens…. Aujourd'hui , parce qu'il a eu le sentiment que « les images ne se suffisent pas en elles-mêmes », il signe avec « La battue » une enquête-témoignage sur les pratiques policières et les politiques de l'Etat en matière d'immigration à la frontière franco - britannique.

Dans une partie intitulée « Petite histoire de Calais », il rappelle les différentes étapes du traitement de l'afflux de réfugiés qui se pressent sur la côte d'Opale avec un même objectif : atteindre le Royaume-Uni.
Depuis la fin des années 1990, il y a eu d'abord le Centre d'hébergement et d'accueil d'urgence de Sangatte, géré par la Croix Rouge et fermé en 2002 par Nicolas Sarkozy. Il y a eu la « Grande Jungle» de Calais, immense camp de migrants aux allures de bidonville, dont l'évacuation est ordonnée par Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur de François Hollande, qui met alors en place la politique dite du « zéro point de fixation » visant à empêcher la formation de nouveau camp : « plus de camps, plus de cabanes de bois, plus d'électricité, plus d'aide humanitaire que celle, minimale, fournie par l'Etat. » Une stratégie renforcée par Emmanuel Macron et son ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin ( avec la bénédiction et la contribution financière du Royaume Uni)

Witter explique ensuite ce qu'il a vu pendant ses 18 mois sur place : les expulsions des campements toutes les 48 heures (oui, tous les 2 jours !) au petit matin ; les tentes et effets personnels des migrants déchirés ou mis à la benne; les traques sur les plages; les interdictions préfectorales de distribuer de l'eau et de la nourriture; une chasse à l'homme, une « battue » encouragée par les pouvoirs politiques, à l'échelon local et national. Les associations qui, malgré tout, continuent à apporter leur aide parlent de « politique de harcèlement ». Un harcèlement aussi inhumain qu'inutile puisque tout le monde sait très bien que sitôt les gendarmes partis, le campement de fortune se reconstitue ! Il pousse simplement un peu plus de personnes à prendre le risque de la traversée : plus de 350 personnes ont perdu la vie , sur terre ou en mer, à cette frontière franco- britannique.

Le livre élargit le propos à l'ensemble de l'Europe. Il rapporte les camps grillagés ,entourés de policiers, ouverts aux frontières entre la Serbie et la Hongrie ; la concertina , « ce fil métallique fait de centaines de lames de rasoir toutes aussi tranchantes les unes que les autres, fabriqué depuis des années par une entreprise espagnole nommée European Security Fencing, clôture de sécurité européenne. » qu'on retrouve partout aux portes de l'Europe. Il parle aussi des millions d'euros (500 M supplémentaires en 2022) accordé par l'Union européenne au Maroc pour couvrir la lutte contre l'immigration illégale.

Il rappelle aussi que lorsque l'invasion de l'Ukraine a commencé, entraînant sur les routes de l'exil des milliers de civils , « l'Union européenne , sur l'accueil des réfugiés, réagit en un temps record. Les États font l'étalage de leur grande solidarité, les portes s'ouvrent une à une. Même à Calais, la mairie réquisitionne une auberge de jeunesse pour accueillir ces nouveaux réfugiés ». Cent mille personnes sont accueillies en France, par l'Etat et par des familles. 150 euros d'aide mensuelle annoncée par la 1ere ministre pour les familles qui accueillent des réfugiés ukrainiens ; mais 135 euros d'amende pour les bénévoles de Calais qui , au moment du Covid, viennent apporter de la nourriture aux réfugiés Soudanais ou Érythréens : « Il y a ceux à qui on tend la main et ceux que l'on pourchasse » .Une humanité à deux vitesses …

La politique du « zéro point de fixation » est manifestement un échec, et en conclusion, l'auteur rappelle que la question de l'immigration va se poser de façon de plus en plus cruciale avec les enjeux climatiques et qu'il faut donc s'interroger collectivement sur notre conception de « l'autre », « l'accueil », « l'hospitalité », des notions que « le politique semble avoir totalement abandonnées pour les laisser entre les mains d'associations, de groupes sociaux et d'individus solidaires »
« Poser les nouvelles bases d'une société qui pourrait alors de nouveau se regarder dans le miroir ».


Une lecture nécessaire, étayée de faits et de chiffres précis, de témoignages d'exilés et de bénévoles, au plus près de la réalité et loin des effets de manche des politiques ou des propos nauséabonds de chroniqueurs de plateaux TV…
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