Je voulais me cacher. Et pourquoi? Tout bonnement parce que je déteste les applaudissements. Quelle stupidité, ce truc d'applaudir! Pitié, je n'ai jamais pu le supporter! Ni en tant que bonhomme là-haut sur la scène, ce qui dieu merci n'arrivera plus, ni en tant qu'auditeur au milieu du public. La dernière note n'a même pas encore fini de résonner que déjà - cris, sifflets, bravos. Pas un instant de silence, pas une demi-seconde. Quelle bande d'ignares! Quels barbares! Pas d'écho, pas de repos baigné d'écho, pas de tremblement, d'extase, pas la moindre trace d'oubli de soi chez ces gens qui vous ont écouté.
Et de fait chaque fois j'ai prié pour qu'ils ne puissent plus bouger d'un pouce. S'il vous plaît, faites silence en bas! Pas de bruit!
Restez assis et en silence. Levez-vous, partez, faites de la musique que j'ai jouée ce que bon vous semblera, mais ne faites pas de bruit. Qui sont ces gens qui après une sonate de Schubert, celle en si bémol majeur par exemple, l'une des dernières, achevée deux mois avant sa mort, explosent en cris de joie?
Qu'est-ce qu'être seul ? Combien seul est-on seul ? S'ennuie-t-on ? Ou bien est-on trop occupé à combattre la solitude ? Est-elle visible ? Est-ce une maladie ? Guérissable, inguérissable ? Est-ce l'agresser que de demander au solitaire s'il va bien ? Ne peut-on rien lui demander de ses rêves, des rêves qu'il a ou aimerait avoir, de ceux qu'il redoute de rêver.
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Je ne sais rien de vous, disais-je, moins que rien. Après quel genre de gloire courez-vous? Redresser les bossus? Pourquoi donc portez-vous une cravate? et évidemment, explicitement rouge en plus? Combien de mon espèce avez-vous sur votre liste? Combien de poètes, de professeurs, de compositeurs? A quoi bon tant d'efforts? A quoi bon répéter l'Histoire et celle de tant de criminels?
Quand vous aurez quitté cet immeuble, dis-je, on pourra dans la rue vous prendre pour un piéton inoffensif. Or, vous n'en êtes pas un. Mais qu'est-ce et surtout qui êtes-vous lorsque vous sonnez aux portes des autres?
Cela ne vous intéresse-t-il pas, ce que vous êtes? Ce que la vie a fait de vous?
(...) Quels étaient vos rêves de petit garçon? A l'époque où vous et moi, même en été, portions bermudas et chaussettes en laine?
Je ne cessais tout ce temps de le fixer droit dans les yeux. Nous, vous et moi, aurions pu être deux amis cherchant l'amour des filles. Se jurant fidélité comme un garçon et une fille. Un an plus tard à peine, nous aurions bu ensemble jusqu'à l'ivresse. Nous aurions été libres, jeunes et désinvoltes. Et, ignorant ce qu'il adviendrait demain, heureux.