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Critique de NMTB


NMTB
19 décembre 2014
La chambre de Jacob est le premier des trois livres de Virginia Woolf - avant Les vagues et Vers le phare - que le préfacier qualifie de romans élégiaques. Il raconte la courte histoire de Jacob Flanders, de son enfance à sa mort sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Mais, au fond, Jacob apparait assez peu, il est autant question de son entourage, de sa mère, de ses amis, ses connaissances, des femmes qui sont amoureuses de lui ou dont il est amoureux. Il y a beaucoup de personnages pas vraiment secondaires dans ce roman, et c'est à travers eux qu'on apprend à connaître Jacob.
C'est aussi un roman fait d'expériences littéraires. Par exemple, on peut noter la position du narrateur, qui semble la plupart du temps traditionnelle, omnisciente et hors du récit, mais où la voix personnelle de Virginia Woolf n'hésite pas, parfois, à se faire entendre. Ou les dialogues, qui ont toujours une touche de bizarrerie ; ce ne sont pas des paroles qui se répondent vraiment, mais c'est comme si les personnages lançaient des flèches qui n'atteignaient jamais tout à fait leur but. Des paroles vouées à l'incommunicabilité.
Mais ce qui est le plus frappant c'est la manière dont l'auteure use de l'ellipse, du non-dit, des phrases qui s'arrêtent en cours de route, des idées qui restent en suspens. Il faut beaucoup deviner, beaucoup de sentiments ou d'actions sont passées sous silence. Non seulement cela donne une grande vigueur au récit car on s'arrête assez peu sur les détails, mais aussi une vraie liberté d'imagination au lecteur. le mieux est encore de donner un exemple. Voici un tout petit passage, au début du roman, qui met en scène Mrs Flanders, la mère veuve de Jacob, alors qu'elle vient de recevoir une lettre du précepteur de ses fils tout en s'occupant des provisions :

« Alors comme ça Mr Floyd l'a apporté lui-même ? Il me semble que le fromage doit être dans le paquet, dans l'entrée – c'est ça, dans l'entrée… » car elle était en train de lire. Non, il ne s'agissait pas des garçons.
« Oui, assez pour faire des croquettes de poisson demain, certainement. Peut-être le capitaine Barfoot… » Elle était arrivée au mot « amour ».

Evidemment, sorti du contexte ce passage perd beaucoup. Pourtant, il reflète toute la maitrise de Virginia Woolf. Passons sur l'idée amusante de mélanger fromage et poisson avec lettre d'amour ; cette association de trivialité et de sentiments nobles est l'un des ressorts du roman. Mais la façon qu'a Virginia Woolf d'insinuer beaucoup de choses en si peu de mots est simplement magnifique. Car lorsqu'on lit ces quelques phrases dans le cours du roman, on voit réellement cette femme s'affairer avec sa bonne, poser d'abord distraitement son regard sur la lettre, puis son visage changer d'expression, son attention se porter du fromage à la lettre, ses sourcils se froncer, et se dessiner dans ses yeux un mélange d'espoir et de peur. Et pourtant Woolf n'écrit rien de tout cela, et d'ailleurs ce n'est que mon interprétation. Disons que c'est l'ensemble de tout ce qui a été écrit avant qui fait travailler l'imagination du lecteur. Bref, c'est de la littérature. Et seulement un exemple parmi tant d'autres de l'art de Virginia Woolf.
Sinon, les descriptions sont toujours aussi belles. En particulier les paysages très colorés, les jeux de lumières sur la mer ou les ombres violacées. Tout cela rappelle souvent les peintures impressionnistes.
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