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Critique de PGilly


J'ai envie de parler un peu de lui tant il parle d'elle dans son autobiographie.
Lui, le mari effacé, modeste, réservé, d'un génie dépressif, au service volontaire de Virginia, coutumière de phases « on » et « off ». Léonard observe intensément sa compagne durant trente ans, à l'affût des signes avant-coureurs de longues heures de confusion mentale.
La mort obsédait Virginia, il s'en faisait une raison.
Il appréciait moyennement les salons mondains, préférant les veillées intimes. Léonard les fréquentait néanmoins, moments privilégiés où Virginia brillait de mille feux, riait, cueillait les idées, s'épuisait aussi… Sa description des « parties » (jusqu'à trois heures du matin) valent le détour, empreintes de finesse et d'humour bien senti. Leonard a une belle plume, il publiera plusieurs ouvrages.
Je veux parler de lui, je parle d'eux. Deux, comme un couple soudé, à l'unisson lorsqu'ils achètent une imprimerie et lancent une maison d'édition artisanale, qui publiera Freud et T.S. Eliot notamment, textes dont ne veulent pas les autres éditeurs. Cette occupation manuelle était salutaire pour Virginia, lui permettait de respirer.
Le mari avait aussi une vie en dehors de son épouse. Il est une des chevilles ouvrières du parti travailliste. Sept ans à Ceylan, en tant qu'administrateur des colonies de sa Gracieuse Majesté, forge un profond sentiment anti-impérialiste, conforté au contact de Gandhi et Nehru. Il pose les fondements de la Société des Nations, la future ONU, au lendemain du traité de Versailles. Leonard présente des côtés excentriques, comme son singe Mitz, perché sur l'épaule en 1935, lors d'un voyage à deux en Allemagne nazie, épreuve du passage de la civilisation à la sauvagerie.
N'empêche, l'histoire retient qu'il fut surtout la moitié de Virginia, qu'il aime et chérit. Nul autre que lui ne l'a approchée d'aussi près. Il décrit son processus d'écriture, sa maladie, son hypersensibilité aux critiques, tellement l'oeuvre tenait au corps, au coeur de V.Woolf, comme une mère veille sur son enfant. Il cite aussi de nombreux extraits du journal de l'auteure.
Parfois l'admiration de Leonard prend un tour lyrique : « Je disais toujours qu'elle agissait telle une baleine, qui laisse entrer dans sa bouche un flot d'eau de, afin d'en filtrer le plancton essentiel à sa vie. »
De leur relation amoureuse, il n'est point question. Leur couple existe dans les voyages, les rencontres, l'édition, l'écriture, les amitiés, la lutte contre la démence. Nul temps mort, de l'intensité encore et toujours ; de l'anticonformisme également.
Pour moi, Leonard force l'admiration, garde-malade et tuteur de génie. Quelle patience il lui a fallu pour prendre soin de son aimée lors de ses périodes de « dépression désespérée ». Quelle souffrance de la voir souvent prostrée, indifférente au monde et à la nourriture. Ou parler sans discontinuer durant deux ou trois jours.

Un homme qui continue à jardiner lorsque Virginia l'appelle pour écouter Hitler à la radio, en 1935 : « Je ne viens pas ! Je plante des iris et ils fleuriront longtemps après sa mort. » Vingt ans après le suicide du dictateur, quelques unes de ces plantes fleurissaient encore dans le verger.
Leonard meurt à 88 ans, le 14 août 1969, vingt-huit ans après le suicide de Virginia.
Une postface de son neveu Cecil souligne l'intégrité et le désintéressement d'un personnage qui mérite d'être mis en lumière.




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