Une vie comme les autres

Sa confiance en Harold augmentait chaque jour et par moments il se demandait s’il était en train de commettre la même erreur. Valait-il mieux se montrer confiant ou rester sur ses gardes ? Une véritable amitié était-elle envisageable si une part de soi s’attendait constamment à se voir trahie ?

- Mais le droit n’est pas si différent que ça des maths fondamentales en réalité… Je veux dire que le droit peut lui aussi, en théorie, apporter une réponse à toute autre question, non ? N’importe quelle loi est destinée à se voir confrontée et disloquée, et si les lois ne peuvent pas apporter de solution à chaque problème qu’elles sont censées couvrir, alors ce ne sont pas véritablement des lois, si ?
Il marqua une pause pour réfléchir à ce qu’il venait de déclarer.
- La différence, je suppose, est que, dans le droit, il existe de multiples voies pour parvenir à de multiples réponses, alors qu’en maths, il existe de multiples voies pour une seule réponse. Et aussi, j’imagine, que le droit ne concerne pas vraiment la vérité : il a à voir avec la gouvernance. Mais les maths n’ont pas besoin d’être commodes, pratiques, ou managériales – elles doivent seulement être vraies.
Et l’autre raison qui les rend fondamentalement semblables, me semble-t-il, est qu’en mathématiques, de même que dans le droit, ce qui compte le plus – ou, plus précisément, ce qui les rend le plus mémorables – n’est pas le fait que le problème soit résolu ou le cas prouvé, mais la beauté, l’économie avec lesquelles on parvient à la solution.

Un soir, ils se retrouvèrent juste tous les quatre. C’était au début de leur troisième année et un phénomène assez rare pour créer une atmosphère douillette et les rendre sentimentaux à l’égard de la clique qu’ils avaient formée. Il s’agissait véritablement d’une clique et, à sa surprise, il en faisait partie : le bâtiment dans lequel ils habitaient s’appelait Hood Hall et, sur le campus, ils étaient connus sous le nom de Boyz in the hood. Ils avaient tous d’autres amis ( JB et Willem plus que Malcom ou lui), mais tout le monde avait conscience ( ou du moins présumait, ce qui revenait au même) que leur loyauté s’appliquait d’abord à eux. Les quatre amis n’en avaient jamais discuté de manière explicite, mais ils savaient tous que ce postulat, ce code de l’amitié qui leur avait été imposé, leur plaisait également.

Il avait choisi de poursuivre des études d’architecture pour, semblait-il, la pire des raisons : par amour des constructions.

Mais aujourd’hui l’époque était à la réalisation de soi, une époque où se contenter d’une existence de second choix passait pour un signe de faiblesse innommable. En un sens, le fait d’accepter ce qui semblait devoir être son destin – autrefois considéré comme une forme de dignité – n’était plus à ‘heure actuelle qu’une marque de couardise. Parfois la pression pour atteindre le bonheur devenait presque oppressante, comme si celui-ci était une chose à laquelle tout le monde devait et pouvait accéder, et que le moindre fléchissement dans cette quête vous était en quelque sorte imputable.

And so I try to be kind to everything I see, and in everything I see, I see him.

[...] l’herbe inconnue qu’il avait trouvée embaumait la chambre, printanière, fraîche et étrangement familière, comme une chose qu’il n’avait pas été conscient d’aimer jusqu’à ce qu’elle apparaisse, soudainement et sans prévenir, dans son existence .

[...] il a une voix grave, circonspecte et lente, à la fois réconfortante et, d’une certaine façon, légèrement menaçante.

...il essayait d,accepter que certaines choses ne se confirmeraient jamais à l'idée qu'il avait de ce que l'existence devrait être, quelle que soit l'intensité avec laquelle il espérait ou prétendait que cette idée puisse advenir. (p. 645)

C'était son don, son seul grand talent, et il s'en servait pour parvenir à une meilleure existence. Il se servait de lui-même pour se sauver. (p. 616)