Ne réalisant pas qu’il nous fallait remonter la pente d’une façon ou d’une autre, nous sommes longtemps restées allongées face contre terre dans l’obscurité, comme mortes. Aujourd’hui encore, je ne peux pas m’empêcher de penser que cet état de léthargie avait quelques chose de rassurant et confortable.
Certaines vies sont injustement cruelles, et nous continuons à vivre en les ignorant comme de misérables insectes.
Ils sont morts, et moi, je vis. Être en vie, il n’y a besoin de rien d’autre. Je suis en vie et je vis jour après jour.
Je l’entendais sans l’entendre, comme les gazouillis d’oiseaux ou les clapotis de l’eau. Un bruit qui effleure le lobe des oreilles, comme une légère brise. Un bruit magnifique à vous briser le cœur. Un bruit qui s’éloigne à force de l’écouter.
Je joue la scène dans mon esprit : un garçon de dix-huit ans, assis sur son scooter de livraison, à l'arrêt d'un feu. Derrière lui, une belle jeune fille aux lèvres rouge vif et aux coins des yeux qui remontent. Au moment où le feu change et où le garçon démarre, la jeune fille s'agrippe aux hanches du jeune homme. Ses mains sont tièdes et douces comme des plumes. Elle porte un short et un débardeur, dit-elle, et la voix et le souffle de la jeune fille caressent le lobe de l'oreille du garçon. Sur ses joues monte une joie qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. En lui, une peur mystérieuse se tapit. Le jeune homme accélère, fonce et traverse l'intersection, débordant de bonheur et de crainte, vers le soleil couchant d'un radieux soir de juin.
Etre en vie, il n'y a besoin de rien d'autre.
Ma grande soeur Hae-eon qui, faisant fi des interdictions, posait ses pieds sur le sofa ou sur le siège d'une voiture et s'installait avec les genoux un peu écartés, n'avait-elle pas vécu avec douceur et beauté, comme un oiseau tout juste envolé? Ces moments, ces courts instants, ne forment-ils pas le sens réel de nos vies?
Et si le fait de vivre, de ressentir la joie, la peur, le calme et le danger, n'était pas déjà un sens en soi?
Cette vie n'est-elle qu'un long chemin de misère?
Je me demande : n'y-a-t-il vraiment aucun sens à nos vies? Quand bien même on en chercherait un, on s'en donnerait un de force, n'y aura-t-il absolument rien eu au final?