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Critique de 5Arabella


Paru en 1968, ce roman connaît d'emblée la reconnaissance, il obtient la prix Femina et fait actuellement partie des oeuvres les plus lues et citées de l'auteure avec les Mémoires d'Hadrien. Comme ce dernier livre, il s'agit d'un roman historique, l'époque du récit se situe au XVIe siècle, entre moyen-âge et époque moderne, une époque de bouleversements et remises en question.

Nous suivons le personnage principal, Zénon, de sa naissance jusqu'à sa mort une cinquantaine d'années plus tard dans sa ville natale de Bruges. Bâtard d'un prélat italien, et d'une bourgeoise flamande issue d'une famille aisée, il ne connaît pas vraiment son père et sera surtout élevé par son oncle, le frère de sa mère, car cette dernière a refait sa vie, s'est marié et a quitté Bruges. Zénon est destiné à devenir homme d'église, mais il se révolte conte le destin qui lui est assigné. Il va devenir alchimiste, médecin et sans doute philosophe : un intellectuel multiple, épris du savoir sous toutes ses formes, comme l'étaient les hommes de la renaissance. Il va voyager, voyages que nous ne connaîtront que par des bribes, des choses qu'il va raconter, ses livres sont condamnés et brûlés, il doit fuir. Il finit de se fixer sous un faux nom dans sa ville de naissance, dans un dispensaire dépendant d'un monastère et offre ses services surtout à ceux qui en ont le plus besoin. Mais son passé le rattrape, il est emprisonné et condamné.

Nous suivons aussi, en contrepoint, d'une manière plus brève, les destinées de certains de ses proches, dont son cousin Henri-Maximilien, qui lui aussi se révolte contre sa destinée de riche bourgeois et qui choisit la carrière militaire, ainsi que l'errance qui lui est associée. Une vie à l'opposé de celle de son cousin.

Cela a souvent été explicité, en alchimie l'oeuvre au noir est la première étape de l'opus magnus ou grande oeuvre, qui vise la transformation (ou transmutation) des métaux vils en argent et surtout en or. On peut donc lire ce titre de manière métaphorique : Zénon, qui au départ est un jeune homme quelque peu arrogant, qui se rêve alchimiste, astrologue, mage, chemine au fur et à mesure de son expérience du monde et des hommes, vers la science et encore plus la philosophie, une compréhension du monde mais aussi une vision morale. de l'ambition initiale de dominer le monde grâce à son savoir, à son intelligence, de la recherche d'un savoir objectif et sûr il évolue vers une sorte de quête spirituelle, la recherche d'une vérité morale, d'une attitude juste devant la vie.

Mais au final plus que de vie, j'ai eu le sensation que ce roman parlait plus de la mort. Comme si c'est cette dernière, la manière dont elle se passe qui donne sens à vie, la résume. Et dans le monde de la renaissance, plein de bruit et de fureur, les occasions de mourir sont nombreuses. Les guerres provoquées par les ambitions des puissants croisent celles des religions. Les certitudes vacillent, les nouveaux savoirs mettent en question les vérités anciennes, mais provoquent en retour des persécutions, qui voudraient ralentir les transformations en route. Les riches comme de tout temps se veulent de plus en plus riches, en utilisant à l'occasion les avancées des sciences et techniques, comme ce métier à tisser conçu par Zénon, en appauvrissant encore plus les pauvres qui n'ont plus que la révolte ou une religion dissidente qui laisse l'espoir d'un autre monde. Marguerite Yourcenar met chaque personnage en face de lui-même à l'instant fatidique : chacun meurt comme il a vécu. Henri-Maximilien en soldat, la mère de Zénon y court comme à une évidence qui signe son échec. Sans oublier la vie de ceux dont l'existence est une mort lente, insidieuse, comme pour la demi-soeur de Zénon, qui a renoncé à tout ce qui avait un sens pour elle, et qui remplit ses jours d'activité futiles, en étant persuadée d'être damnée.

La mort de Zénon va être choisie, assumée, et couronner définitivement sa vie. Elle ressemble furieusement à celle d'un philosophe antique. En tant que médecin, il suit ses différentes étapes, en observateur presque détaché. Elle lui permet presque jusqu'à la fin d'essayer de comprendre, d'appréhender. Mais il n'y a pas de réponse définitive à ce qu'est la mort, c'est en quelque sorte la question éternelle et insoluble de l'espèce humaine.

C'est évidemment un roman à lire, devenu dès maintenant une sorte de classique moderne. Mais l'univers, le style, un je ne sais quoi qui caractérise Marguerite Yourcenar me laisse à distance. Cela tient sans doute plus à moi qu'à l'auteure, mais je reste un peu en dehors de cette belle ouvrage.
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