Les fins d’après-midi au bord de la mer sont souvent empreintes de douceur, même en hiver. Pierrette est allée s’asseoir en haut du rocher de l’île Saint-Vincent, au pied de la chapelle. Elle n’a pas froid. Devant elle, la plage Nord est déserte. De courtes vagues viennent lécher les galets.
En face, le vieux quartier de ses parents se cache derrière la muraille de schiste. En-dessous, le sentier de La Moulade finit d’agoniser, avec ses rochers déchiquetés, ses passages éboulés, ses dalles brisées qui s’écroulent un peu plus à chaque coup de vent violent. La promenade est interdite depuis trois ans et une grille dissuasive, affublée d’un large écriteau très laid, en interdit l’accès. Quelques imprudents continuent de contourner l’obstacle mais c’est à leurs risques et périls ; d’ailleurs, vu les dégâts, il y en aura de moins en moins, bientôt on ne pourra plus du tout passer.
Pierrette a la nostalgie du temps où elle rejoignait Argelès par cet itinéraire si plaisant. Son père aimait particulièrement La Moulade et s’y rendait souvent, évitant cependant les mois d’été, périodes de fréquentation trop importante. Quand le passage avait été fermé, il avait été stupéfait. On eut beau lui raconter en détails l’accident terrible qui avait coûté la vie à un enfant et son grand-père emportés par une vague plus grosse que les autres, il restait incrédule, répétant : « On est toujours passé par là, depuis des générations et il n’est rien arrivé ! Bien sûr, y avait des jours, valait mieux éviter d’y aller mais on le savait ! »