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Critique de ODP31


C'est pas Paname au Panama.
Et pourtant, pour la petite histoire, j'ai appris que le sobriquet de la Capitale datait de ce (très) cher Ferdinand de Lesseps, qui en avait bien sué (et Suez aussi). Des dizaines de députés avaient touché des dessous de table, sur lesquels étaient déjà posés des pots de vin, de la société de percement du canal. La population avait dénoncé la vénalité de tous ces notables, surnommés "panamistes" et "panamitards". Une affaire qui, apparemment, n'a pas fait jurisprudence dans les consciences politiques et qui n'a qu'un lien vaguement géographique avec cette merveille de roman. Voilà, j'arrête de me prendre pour Stéphane Bern.
David Zukerman nous transporte donc au Panama à partir de 1946 pour un récit d'aventures métissées y muy caliente.
La Ville de San Perdido n'existe pas mais elle est dépeinte de façon si réaliste que le lecteur n'a pas besoin d'un guide vert, d'un panneau indicateur ou d'un GPS pour s'y retrouver. Elle pourrait être jumelée avec des villes africaines, asiatiques ou occidentales qui se ressemblent dès qu'il s'agit de parquer la population la plus pauvre dans des taudis et de bunkériser les plus privilégiés sur les hauteurs. La misère vue du ciel et pas besoin d'hélicoptère, Yann A-B. L'avantage d'une cité imaginaire, c'est qu'on oublie vite la carte postale pour se focaliser sur ceux qui l'habitent.
Dans la ville d'en bas, le paysage est recouvert par une immense décharge dans laquelle survit une population de laissés pour compte, précurseurs par dépit du tri sélectif et des vides greniers. Félicia, vieille femme qui a passé toute sa vie dans le bidonville, consacre ses journées à récupérer tout ce qui peut être revendu et à parcourir des kilomètres à la recherche d'eau potable.
Elle voit un jour débarquer un jeune garçon muet d'une dizaine d'années qui s'installe à proximité de sa masure. L'enfant est noir, ses mains cachent une force presque surhumaine et ses yeux bleus hypnotisent tous ceux qui croisent son regard.
Face aux injustices dont il est le témoin, le jeune garçon grandit et devient au fil des années le vengeur implacable de tous ces démunis. Héros de l'ombre, croisement réussi de Zorro et de Bernardo, il ne manque pas de clientèle car la petite ville côtière d'amérique centrale vit sous la coupe d'un gouverneur obsédé par les beautés locales et qui mène une politique très volontariste en matière de... corruption.
Plus qu'un simple récit d'aventure focalisé sur les exploits d'un héros masqué, ce roman métissé transcende le genre et les genres. Ce n'est pas un simple Robin des décharges, défenseur de la veuve et de l'orphelin. L'auteur construit une vraie mythologie autour de son héros, descendant du peuple Cimarrons, esclaves rebelles vivant reclus dans la jungle. Ce soupçon de fantastique est également épicé par les femmes du récit.
A San Perdido, les femmes abandonnent leur corps pour accéder à la ville d'en haut et échapper à la misère. On découvre Yumna, la cagole locale, qui use et abuse de sa beauté pour prendre possession du lit du gouverneur. Les plus belles filles de San Perdido sont accueillies dans le bordel le plus select de la ville, géré par une « Madame » d'origine asiatique bienveillante mais sans illusion. Parmi ses protégées, Hierra, dont les charmes irrésistibles attiseront toutes les passions et les vengeances.
Les personnages sont trop cabossés par la vie pour être manichéens et l'auteur prend le temps d'autopsier l'âme de ses personnages à la recherche d'une étincelle d'humanité, même chez les belles crapules qui traversent le roman.
Si Christophe Colomb a découvert l'Amérique, je n'ai pas planté en premier mon drapeau à San Perdido. J'ai l'impression que tous les fidèles de Babelio y ont déjà fait escale avant moi. du tourisme de masse qui n'appelle aucune critique tant cette histoire mérite le temps d'attente passé à la bibliothèque. Toutes les pages de ce livre emprunté étaient cornées au rythme des humeurs des lampes de chevet. L'avantage des voyages littéraires, c'est qu'il n'est pas utile de s'encombrer de crème solaire, d'une bombe anti-moustique, d'être à jour de ses vaccins et d'acheter à l'arrache à l'aéroport une bouteille de rhum pour tonton René.
Même les plus sédentaires devraient s'y retrouver.
Un magnifique voyage.









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