AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,08

sur 528 notes
5
95 avis
4
55 avis
3
13 avis
2
7 avis
1
0 avis
San Perdido, ce premier roman de David Zukerman a été pour moi, un coup de coeur !
Il se situe, comme son titre l'indique, à San Perdido, petite ville côtière panaméenne, imaginaire, et démarre un matin de juin 1946.
Felicia, qui vit tout près de la décharge de San Perdido, à côté du bidonville de Lágrima, voit alors arriver un très jeune enfant, à peine une dizaine d'années, pieds nus, aux yeux bleus : "Des yeux d'un bleu si clair qu'ils semblent blancs. Des yeux qui font deux trous dans son visage d'un noir profond." Il est seul et muet. Il va s'installer près de la cabane de Felicia, en creusant une sorte de tanière dans le sol. Il possède une force singulière dans les mains et c'est pour cette raison que Felicia le surnommera "La Langosta" qui signifie le homard, car ses grosses mains sont comme des pinces. Il sera le fil rouge du roman. Dès l'incipit, nous savons que ce personnage principal s'appelle Yerbo Kwinton et qu'il est un héros. Et, nous dit l'auteur, "Qu'est-ce qu'un héros, sinon un homme qui réalise un jour les rêves secrets de tout un peuple ?"
David Zukerman dans cette fable sociale, récit légendaire, sorte de pamphlet, nous livre une caricature de la société où les plus pauvres survivent à côté des nantis. Dans les deux camps, c'est la ruse qui permet de s'en sortir. L'auteur décrit très bien la vie dans les bidonvilles, l'extrême misère dans laquelle ces gens vivent et tous les moyens employés pour arriver à survivre. Il rend compte également avec beaucoup de vérité, de la corruption qui règne chez les plus riches et les gouverneurs. Grâce aux portraits colorés des personnages que l'écrivain a si bien su restituer, nous sommes plongés comme si nous y étions dans cette ville et ce pays dont nous découvrons les coutumes, les combines, les coups bas, les trahisons et ressentons au plus profond de nous-mêmes toutes les inégalités. Il explore également avec beaucoup de psychologie les sentiments de chacun et enveloppe son récit d'une extrême sensualité, le climat tropical du Panama l'y aidant.
Le côté historique n'est pas négligé : l'indépendance du Panama, le canal de Panama, la présence d'anciens esclaves noirs et de soldats américains participent fortement à l'intérêt du récit.
San Perdido est un roman d'aventure original, dépaysant, vif et haletant, un conte avec des personnages forts et attachants, qui dresse une caricature de la société panaméenne pas si éloignée de l'européenne qu'on pourrait le penser de prime abord. Il me semble, d'autre part, que ce pourrait être un excellent scénario pour un prochain film. Impossible en effet, en lisant ce roman dans lequel certains roulent en Buick Kustom, en Packard Super Eight, ou en cabriolet Hispano-Suiza K6 de 1935, de ne pas avoir déjà des scènes cinématographiques plein les yeux !
Si la couverture très colorée du livre avait happé mon regard, son contenu m'a enthousiasmée !
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
Commenter  J’apprécie          1196
Au Panama, dans les années 50, c'est la corruption qui dicte ses lois à la population démunie, qu'elle soit de San Perdido ou d'ailleurs. Les plus précaires vivent de la récupération, en un temps où le recyclage ne se référait pas à une pratique éthique pour préserver la planète, mais était la seule issue pour essayer de survivre. Felicia le sait, elle qui y vit depuis des dizaines d'années , insensible désormais aux odeurs nauséabondes qui font partie de son quotidien monotone. Jusqu'à ce qu'elle aperçoive le gamin, celui qu'elle nommera la Langosta, désossant les structures métalliques avec ses grandes mains adroites, posant son regard clair et énigmatique sur son entourage, sans jamais prononcer un seul mot.

Le récit est captivant, car les personnages sont forts, parfois à la limite de la caricature, comme ce gouverneur surnommé le Toro en raison de son appétit insatiable pour les jeunes beautés qui n'ont d'autres moyens pour manger que de vendre leurs charmes et qui engloutit le budget gouvernemental dans les plaisirs charnels tarifés, ou ce médecin dévoué et désintéressé qui prend soin des âmes et des corps, ou ces petites frappes qui rackettent les moins téméraires. Les destins pourraient être scellés, mais il faut compter avec Yerbo, armé de son regard pâle et de ses mains puissantes pour venir troubler le fonctionnement pervers de la ville. Et c'est un sacré personnage, avec une part de mystère qui le fera entrer dans la légende.

C'est aussi l'occasion de se pencher sur l'histoire des cimarrons, ces esclaves africains du 16è siècle, échappés des domaines espagnols.

L'histoire est captivante et bien mise en valeur par une écriture vive et dynamique. L'utilisation du présent évite que la légende prenne le pas sur une histoire à laquelle on a envie de croire. Pas de temps mort, tout est important.

Ça se dévore avec délectation : premier coup de coeur de cette année avec ce premier roman, dont on devrait entendre parler.
#SanPerdido #NetGalleyFrance
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          1094
C'est pas Paname au Panama.
Et pourtant, pour la petite histoire, j'ai appris que le sobriquet de la Capitale datait de ce (très) cher Ferdinand de Lesseps, qui en avait bien sué (et Suez aussi). Des dizaines de députés avaient touché des dessous de table, sur lesquels étaient déjà posés des pots de vin, de la société de percement du canal. La population avait dénoncé la vénalité de tous ces notables, surnommés "panamistes" et "panamitards". Une affaire qui, apparemment, n'a pas fait jurisprudence dans les consciences politiques et qui n'a qu'un lien vaguement géographique avec cette merveille de roman. Voilà, j'arrête de me prendre pour Stéphane Bern.
David Zukerman nous transporte donc au Panama à partir de 1946 pour un récit d'aventures métissées y muy caliente.
La Ville de San Perdido n'existe pas mais elle est dépeinte de façon si réaliste que le lecteur n'a pas besoin d'un guide vert, d'un panneau indicateur ou d'un GPS pour s'y retrouver. Elle pourrait être jumelée avec des villes africaines, asiatiques ou occidentales qui se ressemblent dès qu'il s'agit de parquer la population la plus pauvre dans des taudis et de bunkériser les plus privilégiés sur les hauteurs. La misère vue du ciel et pas besoin d'hélicoptère, Yann A-B. L'avantage d'une cité imaginaire, c'est qu'on oublie vite la carte postale pour se focaliser sur ceux qui l'habitent.
Dans la ville d'en bas, le paysage est recouvert par une immense décharge dans laquelle survit une population de laissés pour compte, précurseurs par dépit du tri sélectif et des vides greniers. Félicia, vieille femme qui a passé toute sa vie dans le bidonville, consacre ses journées à récupérer tout ce qui peut être revendu et à parcourir des kilomètres à la recherche d'eau potable.
Elle voit un jour débarquer un jeune garçon muet d'une dizaine d'années qui s'installe à proximité de sa masure. L'enfant est noir, ses mains cachent une force presque surhumaine et ses yeux bleus hypnotisent tous ceux qui croisent son regard.
Face aux injustices dont il est le témoin, le jeune garçon grandit et devient au fil des années le vengeur implacable de tous ces démunis. Héros de l'ombre, croisement réussi de Zorro et de Bernardo, il ne manque pas de clientèle car la petite ville côtière d'amérique centrale vit sous la coupe d'un gouverneur obsédé par les beautés locales et qui mène une politique très volontariste en matière de... corruption.
Plus qu'un simple récit d'aventure focalisé sur les exploits d'un héros masqué, ce roman métissé transcende le genre et les genres. Ce n'est pas un simple Robin des décharges, défenseur de la veuve et de l'orphelin. L'auteur construit une vraie mythologie autour de son héros, descendant du peuple Cimarrons, esclaves rebelles vivant reclus dans la jungle. Ce soupçon de fantastique est également épicé par les femmes du récit.
A San Perdido, les femmes abandonnent leur corps pour accéder à la ville d'en haut et échapper à la misère. On découvre Yumna, la cagole locale, qui use et abuse de sa beauté pour prendre possession du lit du gouverneur. Les plus belles filles de San Perdido sont accueillies dans le bordel le plus select de la ville, géré par une « Madame » d'origine asiatique bienveillante mais sans illusion. Parmi ses protégées, Hierra, dont les charmes irrésistibles attiseront toutes les passions et les vengeances.
Les personnages sont trop cabossés par la vie pour être manichéens et l'auteur prend le temps d'autopsier l'âme de ses personnages à la recherche d'une étincelle d'humanité, même chez les belles crapules qui traversent le roman.
Si Christophe Colomb a découvert l'Amérique, je n'ai pas planté en premier mon drapeau à San Perdido. J'ai l'impression que tous les fidèles de Babelio y ont déjà fait escale avant moi. du tourisme de masse qui n'appelle aucune critique tant cette histoire mérite le temps d'attente passé à la bibliothèque. Toutes les pages de ce livre emprunté étaient cornées au rythme des humeurs des lampes de chevet. L'avantage des voyages littéraires, c'est qu'il n'est pas utile de s'encombrer de crème solaire, d'une bombe anti-moustique, d'être à jour de ses vaccins et d'acheter à l'arrache à l'aéroport une bouteille de rhum pour tonton René.
Même les plus sédentaires devraient s'y retrouver.
Un magnifique voyage.









Commenter  J’apprécie          1036
Quelle histoire ! Avec San Perdido, David Zukerman m'a emmené en Amérique Centrale, au bord du Canal de Panamá, ouvrage débuté par les Français, repris par les Étasuniens, dans un pays où le trafic maritime attire toutes les convoitises et permet tous les échanges, légaux ou illégaux.
Tout commence dans une décharge publique qui coupe la ville de San Perdido en deux et près de laquelle s'est développé le bidonville de Lágrima. L'auteur réussit à rendre ces lieux tellement vivants que j'ai cru qu'ils existaient réellement.
Après un premier chapitre censé se passer aujourd'hui, histoire de bien mettre l'eau à la bouche, j'ai plongé en 1946, pataugeant dans cette décharge qui permet à tant de pauvres gens de vivre en récupérant ce que jettent les riches, les nantis qui vivent sur les hauteurs.
Je me suis attaché à Felicia, cette Ghanéenne qui veille sur la décharge en interdisant aux enfants de toucher aux sacs poubelle venant de l'hôpital. Un jour, elle voit arriver un enfant noir bien mystérieux, à la force surprenante. Elle le prend en affection, l'aide et il le lui rend bien.
J'apprends un peu plus loin qu'il se nomme Yerbo et je vais le rencontrer souvent, jusqu'à l'âge adulte. Il est muet mais entend bien. Son regard est d'un bleu si profond qu'il fascine ceux qui osent s'y plonger. Devant toutes les turpitudes de la ville, il va se comporter en justicier.
Au fil du roman, David Zukerman m'a fait rencontrer beaucoup de monde dans la ville et le port où la vie grouille, où les femmes sont très belles mais nombreuses à devoir vendre leurs charmes pour pouvoir vivre. La violence et la prostitution sont bien présentes un peu partout mais le coeur de l'histoire se trouve dans la jungle proche de la ville, sous la canopée où vivent les Cimarrons. Descendant des esclaves noirs révoltés contre les colonisateurs espagnols, ils forment encore une communauté qui perpétue ses traditions.
Enfin, il y a le gouverneur qui assouvit son priapisme sans retenue et ne se gêne pas pour s'enrichir au maximum alors que de nombreux administrés n'ont pas de quoi manger. Ce luxe insolent, ce gaspillage éhonté, ce mépris pour ses semblables s'ajoutant à une violence sexuelle omniprésente, tout cela fait de San Perdido, un roman passionnant, très vivant, qui captive de bout en bout.
Si c'est souvent violent, l'érotisme de certaines scènes est bien rendu car Yumna, fille de Lágrima qui n'a pas froid aux yeux, sait utiliser ses charmes pour parvenir à ses fins mais elle a une rivale nommée Hissa.
Yerbo grandit, devient une légende et je conseille de relire le premier chapitre à la fin de l'histoire, histoire qui pourrait d'ailleurs se poursuivre. San Perdido est une fresque magnifique qui n'oublie pas l'opportunisme étasunien me faisant bien ressentir aussi le climat du pays où la chaleur est souvent torride.
Commenter  J’apprécie          954
À San Perdido au Panamà, la misère suinte, les corps suent, se cherchent, se fuient, se chevauchent, l'appétit des riches est gargantuesque tandis que celui des plus miséreux crime famine.
À San Perdido, on survit.

Félicia dans son bidonville au bord de la décharge voit sa vie chambouler par l'arrivée d'un jeune enfant muet aux yeux immensément bleus. Cette scène de l'arrivée de l'enfant bleu est tout bonnement splendide car elle se dessine devant vos yeux en transe et tremblants. Cet enfant nommé La langosta pour sa force dans ses mains dégage une aura merveilleuse. L'enfant parvient à être en empathie avec ceux qu'il approche. Devenant tantôt le fils que Felicia n'a jamais eu, tantôt le confident d'un jeune enfant martyrisé ou encore le justicier de San Perdido. Tellement stoïque, silencieux, son regard envoute ou saccage…

Dans ce livre, nous allons nous arrêter auprès de quelques personnages, tellement bien exploités qu'on ressent une foule d'émotions et un attachement palpable pour eux tous. Felicia, la vieille dame simple et tellement seule. Hissa, la jeune fille vendue qui fera tourner la tête des hommes. Yumna, trop belle pour être aimée.
Tous ces personnages vont se croiser puis s'assembler pour nous offrir un tableau accompli où tout prend sens.

Tous, ils cherchent à sauver leur peau. L'homme noir aux yeux bleus, La langosta, Yerbo, tapi dans l'ombre et le silence, sera l'ange protecteur de tout ce monde en proie à la misère, à la corruption, à la cruauté.

Lire San Perdido, c'est une expérience unique où tous nos sens sont en éveil. La chair de poule, la peau qui brille, l'odeur de la vanille, du tiaré. On en prend pleins les yeux à force de scènes cinématographiques hautes en couleur.

J'avais déjà eu un énorme coup de coeur pour Iberio, voici David Zukerman au panthéon de mes auteurs préférés. Son écriture me plaît, me correspond, un écrivain qui a le sens des détails sans rien alourdir, avec des images qui captent l'attention. Deux fois que je lis cet auteur et à chaque fois je suis transie.

Ce livre a des effluves de Sucre noir et de la ligne verte avec un souffle romanesque brillant et splendide. Une imagination d'orfèvre mêlée à une ambiance sensorielle magnétique, tout à fait exceptionnelle.

San Perdido est un magnifique voyage, mémorable, une plongée merveilleuse au plus près des mal lotis, une colombe blanche dans le ciel de leurs nuits, des personnages et des décors ciselés dans la chair du soleil.
Commenter  J’apprécie          9213
Avec ce premier roman, David Zukerman nous offre un récit vivant et le portrait d'un personnage que le lecteur fera lui-même entrer dans la légende.

L'histoire se déroule à panama entre 1946 et 1959, où on est soit très pauvre et ou les possibilités de s'en sortir sont restreintes : prostitution, travail frisant l'esclavage ou misère totale qui oblige à se nourrir des détritus, à vendre de la ferraille récoltée sur la décharge pour quelques balboas, soit très riche, tirant sa fortune du travail des masses populaires, se vautrant dans la corruption.

Arrive un jour dans la décharge, un enfant noir, mystérieux, muet, qui semble parler avec ses yeux bleus. Il possède des mains puissantes et larges qui lui vaudront le surnom de « la langosta » ou le homard. Qui est-il ? la réponse s'insinue progressivement au fil de l'histoire, lorsqu'il devient un adolescent puis un adulte, même s'il semble dès le début agir en faveur du peuple opprimé.

Aucune longueur dans ce récit ou l'on goûte à l'ambiance d'un pays d'Amérique centrale où l'argent est le seul ami de politiciens qui ne cherchent aucunement le bonheur du peuple, royaume des narco-trafiquants et autres spéculateurs insatiables, de la violence et de l'injustice, ou l'on découvre l'histoire de panama et de son canal, des Cimarrons ou esclaves noirs révoltés contre les espagnols plusieurs siècles auparavant, ou l'on respire la végétation locale, ou l'on prend un bain de cette culture lointaine.

Certaines expressions, pour la plupart des insultes, ne sont sont traduites dans un glossaire qu' à la fin, la traduction ne me semble pas nécessaire à mon avis, car ces mots plongent le lecteur dans cette ambiance propre aux pays de langue espagnole, ou l'on traduit ses sentiments par des expressions bruyantes et percutantes et ou le bruit est synonyme de vie.

Un très bon premier roman donc, que je ne peux que conseiller.

Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
Commenter  J’apprécie          860
« Il n'y a pas si longtemps, Port Sangre n'était qu'un petit port de pêche où commerçaient les Kunas et que les pirates avaient fréquenté jusqu'au XVIIIe siècle. Son histoire est encore empreinte de l'esclavage, des envahisseurs espagnols ou anglais, de la révolte des Cimarrons, de la contrebande et du marché noir. »

En découvrant San Perdido et Port Sangre, lieux imaginaires voisins de Panama, je n'ai pu m'empêcher de penser à Chronique d'une mort annoncée de Gabriel Garcia Marquez ce qui, vous me l'accorderez, n'est pas une mince référence, surtout pour un premier roman. Tout y est ou presque. La chaleur étouffante, la corruption à tous les niveaux, les politiciens véreux, le clivage social entre très riches et très pauvres, la sensualité exacerbée, la population métissée, jusqu'au réalisme magique cher au prestigieux Nobel colombien. Comme d'autres avant moi, je lui trouve du talent à ce franchie (même si la deuxième partie m'a semblé un peu longuette). Il imagine des personnages caribéens forts singuliers et raconte l'Amérique centrale comme s'il y avait toujours vécu. Hors il paraît qu'il n'y a jamais mis les pieds...
Commenter  J’apprécie          802
Ecrire un roman, cela consiste pour un écrivain à imaginer des personnages fictifs et à les faire évoluer dans des situations ordonnées selon l'intrigue qu'il a conçue. Dans San Perdido, l'auteur ne déroge pas à cette définition et va encore plus loin. Sur un théâtre des événements lui-même fictif, il fait intervenir un être évanescent issu de légendes populaires.

La ville de San Perdido n'existe pas. L'auteur l'a imaginée en Amérique centrale, dans l'Etat de Panama, où les retombées économiques du canal éponyme et du statut de paradis fiscal ne profitent qu'à quelques-uns. Située sur la Côte des Caraïbes, San Perdido est dotée des particularités des capitales caribéennes dans les années cinquante, période sur laquelle le roman se déroule : inégalités sociales abyssales, prostitution, corruption, magouilles, tout cela sous le charme trompeur d'un ciel tropical et d'une végétation luxuriante. On pense au La Havane de Batista et au Saint-Domingue de Trujillo.

Il était donc une fois, à San Perdido, une population vivant misérablement dans les bidonvilles de la ville basse, tirant une maigre pitance des activités de son port et confrontée aux miasmes putrides d'une immense décharge publique à ciel ouvert. Sur les hauteurs, bien au-dessus de la multitude, s'étend le plateau del Sol où les privilégiés habitent de superbes propriétés ombragées. Une maison luxueuse et discrète accueille les dignitaires et les hommes d'affaires voulant se divertir auprès de très jeunes femmes au corps sublime. Au sommet se dresse le somptueux palais du Gouverneur.

Se refusant toute limite, l'auteur fait appel au merveilleux panaméen et à la légende des Cimarrons, des esclaves originaires d'Afrique, qui se rebellèrent au seizième siècle et menèrent la vie dure aux colons espagnols. Dans la ville basse, on veut croire que leurs descendants vivent cachés dans la jungle voisine, opaque et mystérieuse, et qu'ils disposent de pouvoirs magiques pour corriger les injustices et punir les méchants. C'est ainsi qu'apparait soudain la figure réelle ou mythique de Yerbo Kwinton, un Noir au regard bleu pâle, aux mains immenses, disposant de qualités humaines et physiques surréelles. Sa personnalité planera sur l'intrigue jusqu'à ce que…

Comme il se doit, les turpitudes financières et sexuelles du gouverneur et de son entourage sont le moteur des péripéties du roman.

Des personnages pittoresques, mais peu recommandables pour la plupart. Le gouverneur Lamberto est surnommé le Taureau, en référence à son appétit sexuel insatiable. Son conseiller Carlos Hierra évoque un certain vizir félon voulant devenir calife à la place du calife. L'aventurier américain Stomper est prêt à tout, vraiment à tout, pour s'enrichir. Une étrange Eurasienne qu'on appelle Madame dirige un établissement raffiné d'un genre spécial. L'efficace docteur Portillo-Lopez est plus porté sur l'humanisme que sur la sexualité. Deux jeunes femmes, Yumna et Hissa, doivent à leur plastique de rêve d'être montées de la ville basse à la ville haute... Dans la ville basse, les personnages, nombreux, n'ont pas grand-chose à espérer, à l'exception de Felicia, une vieille femme au coeur noble, et d'Augusto, qui deviendra chef d'entreprise sans se corrompre (ça existe !).

Consacrés à la ville basse et à son quotidien sordide à peine enchanté par l'apparition de « la Mano », les premiers chapitres sont un peu déroutants. L'agrément de lecture s'élève dès qu'on aborde les stratagèmes concoctés dans la ville haute. Vers la fin, l'intrigue s'enrichit de rebondissements savoureux, conférant au roman le ton captivant d'un thriller.

De l'auteur, David Zukerman, on ne sait pas grand-chose : il approche de la soixantaine, a exercé de nombreux métiers et à défaut d'être le premier roman qu'il ait écrit, San Perdido est le premier qu'il a adressé à un éditeur. Il a bien fait. Sa plume est fine et légère, son vocabulaire est précis et varié, l'utilisation du présent de l'indicatif donne à la narration une tonalité décalée, tantôt ironique, tantôt moralisatrice. Il s'est donné aussi du plaisir à écrire quelques passages lascifs émoustillants.

En fin de compte, San Perdido est un roman plaisant, dépaysant et très distrayant.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          702
Note de 4,12 sur plus de 250 avis , voilà qui place la barre très haute pour un roman qui , incontestablement , trouvera en moi un nouvel ardent défenseur. le Panama , c'est un pays lointain , une sorte " d'ailleurs " dont on n'imagine en rien quelle peut être la vie dans les années 50 . Et pourtant , il y a "ceux d'en haut" et "ceux d'en bas " , facile à comprendre , non ? Des gens aux conditions si différentes que toute rencontre semble relever de l'utopie ....Et pourtant , c'est par leur beauté que certaines d'en bas accèdent à un monde qui , sans cela , leur resterait inaccessible . Des scènes d'une extrême sensualité ( oui , vraiment ) donnent au roman une force incroyable , sans jamais sombrer dans le voyeurisme ou la médiocrité .Un esthétisme incroyable . La revanche sur les douleurs de l'origine , le moyen d'exister dans un monde impitoyable de cruauté , l'occasion unique d'accéder aux arcanes du pouvoir qui révèlent bien des compromissions de nature à révolter le plus humble de tous ces malheureux qui n'ambitionnent qu'une chose , la vie , voire la survie . Car les vies des " petits " ne tiennent en permanence , qu'à un fil . Fort heureusement , " Il " est là et surgit toujours au bon moment pour rendre , sinon la vie , du moins l' honneur . Un héros muet aux " mains d'acier " qui observe le monde tel qu'il va et intervient quand il faut , suscitant en nous tous une admiration sans limite . C'est beau , c'est sensuel , c'est " chaud " et ça nous transporte . Les personnages sont " hauts en couleurs " , incroyablement attachants ou détestables, mais jamais " lisses " , toujours placés sous l'ombre protectrice ou vengeresse de ce mystérieux jeune homme noir qui , avec discrétion mais persévérance , occupe tout l'espace de cette belle histoire ...imaginaire . Et oui , si le Panama existe , la ville de San Perdido , elle n'est qu'un leurre né de l'imagination de l'auteur, une ville imaginaire qui , pourtant , pourrait bien avoir existé....Le cadre d'une somptueuse histoire où le meilleur côtoie le pire , où chacun cherche à améliorer son sort ou à sauver sa peau ...Mais un beau jeune homme noir et ..muet , veille au grain .
Un premier roman somptueux , des moments de lecture passionnants ...Le Panama . Et pourquoi pas ? Même si cela pourrait être un ailleurs ....
J'ai adoré , mais , vous le savez désormais, ce n'est que mon modeste avis .... partagé , tout de même , par nombre d'amies et amis .
Commenter  J’apprécie          664
Le cadre du roman se situe au Panama dans la ville de San Perdido, après 1946,une ville imaginaire tout comme les héros de ce roman. La réalité vécue par les habitants semble bien réelle.
Félicia, une vieille dame vit dans un bidonville et doit se contenter des déchets recyclés qu'elle trouve sur la décharge d'immondices de Lagrima ( larmes en espagnol).
Elle voit arriver à côté de sa masure, un jeune garçon noir aux yeux bleus, d'à peu près 11 ans. Il ne parle pas et possède de larges mains très puissantes. Félicia le surnomme La Langosta. Il s'installe à côté de sa cabane, elle le nourrit et en contrepartie, il va lui chercher de l'eau.
La Langosta s'appelle Yerbo Kwinton. Son mystère, son désir de faire régner la justice parmi les femmes opprimées et violées, sa force vont construire sa légende.
San Perdido est un roman avec une grande puissance d'imagination, des personnages très attachants comme Rafat qui a élévé Yerbo dans la jungle où des descendants d'esclaves , les Cimarrons, vivent depuis très longtemps ; Félicia, cette vieille dame immensément pauvre, Augusto qui se sort de la misère, le docteur Portillo-Lopez mais d'autres très détestables comme le gouverneur et ses acolytes.
Du roman se dégage une grande sensualité. L'auteur ne cherche pas à épater ses lecteurs avec des scènes sensationnelles et j'ai beaucoup apprécié son écriture très colorée, très fine, très agréable à lire.
Yerbo Kwinton deviendra un personnage de légende qu'on fera connaître aux touristes dans les années futures.
La fin se termine sur un autre ton que le roman et j'ai un peu moins apprécié bien que David Zukerman y ait introduit une morale.
Très belle lecture pour moi.
Commenter  J’apprécie          643



Autres livres de David Zukerman (1) Voir plus

Lecteurs (1065) Voir plus




{* *}