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Citations sur Splendeurs et misères du travail (9)

Le bureau est au monde moderne ce que le cloître était à la chétienté médiévale : une chaste arène dotée d'une capacité sans pareille à exiter le désir.
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Lire le journal, c'est porter un coquillage à son oreille et être assourdi par le brouhaha de l'humanité.
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7. « Notre époque est perverse en faisant prendre une exception pour une règle. Les faibles probabilités statistiques de parvenir à dévier à son profit la réalité commerciale me furent dévoilées par un investisseur désabusé pratiquant le capital-risque, qui était venu à ce Salon sans en attendre grand-chose, hormis la satisfaction de passer une journée hors de son bureau. Sur deux mille projets qu'il recevait chaque année, dit-il, mille neuf cent cinquante étaient aussitôt rejetés, cinquante étaient examinés plus attentivement, et dix seulement bénéficiaient d'un investissement. Quelques années plus tard, sur ces dix entreprises, quatre auraient fait faillite, quatre autres seraient enlisées dans ce qu'on appelait un "cycle mortel" de faibles profits et deux généreraient les bénéfices substantiels qui maintenaient sa propre affaire à flot. Une perspective de réussite vouée à décevoir 99,9% des candidats. » (pp. 316-317)
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6. « Bien sûr, le pouvoir n'a pas entièrement disparu ; il a juste été reconfiguré. C'est en se donnant l'apparence d'un employé ordinaire que le président a les meilleures chances de préserver sa supériorité. Ses subordonnés admirent la sincérité avec laquelle il feint de partager leur sort, tandis qu'il reconnaît en son for intérieur que seul un étalage convaincant de normalité lui évitera d'avoir à redevenir un jour ordinaire.
Il a aussi été contraint de renoncer à son droit d'aboyer des ordres. Il ne peut pas houspiller des diplômés d'INSEAD et de Wharton. Le seul outil qui lui reste est la persuasion. Trois ou quatre fois par mois, en divers coins de son empire, il monte donc sur une estrade, tombe la veste, embrasse du regard un public de trois mille comptables et, sur fond de slogans en diaporama PowerPoint, leur dit quels professionnels admirables ils sont, avant de glisser habilement quelques recommandations pour améliorer leurs méthodes de travail, à la manière humble et implorante d'un prêcheur à une époque de foi déclinante. » (p. 287)
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5. « Pendant des milliers d'années, c'était la nature – et son créateur supposé – qui avait eu le monopole de la révérence. […] un sentiment de finitude et de limitation, dans lequel la crainte et le respect se fondaient en un sentiment étrangement agréable d'humilité, que les philosophes du XVIIIe siècle appelèrent mémorablement un sens du sublime.
[…] Au cours du XIXe siècle, le catalyseur principal de ce sentiment de sublime a cessé d'être la nature. Nous sommes entrés dans l'ère du sublime technologique, où la révérence peut être suscitée le plus puissamment non par des forêts ou des icebergs, mais par les supercalculateurs, les fusées et les accélérateurs de particules. Nous sommes désormais presque exclusivement émerveillés par nous-mêmes.
Quant à la nature, elle est devenue un objet de sollicitude et de pitié, tel un ancien ennemi blessé à mort perdant son sang devant nos portes. N'étant plus un symbole de tout ce qui nous dépasse, le paysage naturel porte partout les traces funestes de nos pouvoirs extravagants. Nous pouvons regarder les neiges fondantes du Kilimandjaro et réfléchir aux effets nocifs de nos turbines. Nous pouvons survoler certaines régions dénudées de l'Amazonie et voir que la forêt tropicale humide n'est pas plus robuste qu'une seul fleur dans nos mains. Nous avons appris à éprouver du respect pour les plaquettes de circuits imprimés et de la pitié mêlée de remords envers les glaciers. » (pp. 188-189)
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4. « Je compris que le discours de Symons me troublait parce qu'il reflétait une vérité dérangeante, mais finalement inévitable, sur la réussite dans le monde moderne. Dans les sociétés plus anciennes et hiérarchiques, le sort d'un individu était déterminé en grande partie par le hasard de la naissance ; la différence entre échec et succès ne dépendait pas d'une aptitude à pouvoir affirmer, Je peux soulever des montagnes.
Mais dans le monde moderne méritocratique et socialement mobile, le statut d'un individu peut être déterminé par sa confiance en soi, son imagination et son aptitude à convaincre les autres de ce qui lui est dû – une possibilité d'avancement qui jette une lumière moins flatteuse sur les philosophies du stoïcisme et de la résignation. Il semble que l'on puisse gâcher ses chances dans la vie à cause d'un fier dédain d'ouvrages portant des titres tels que "La Volonté de réussir", persuadé que l'on est d'être au-dessus de leurs vulgaires formules d'encouragement. On peut échouer non par manque de talent, mais à cause d'une sorte d'orgueil pessimiste. » (pp. 138-139)
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3. « Ainsi les penseurs bourgeois du XVIIIe siècle renversèrent-ils la formule d'Aristote : les satisfactions que le philosophe grec avait associées au loisir étaient transposées dans la sphère du travail, tandis que les tâches sans récompense financière étaient dépouillées de toute importance réelle et laissées aux attentions fortuites de dilettantes décadents. Il semblait maintenant aussi impossible qu'on pût être heureux et improductif qu'il avait jadis paru improbable qu'on pût travailler et être humain.
Certains aspects de cette évolution dans les attitudes envers le travail avaient d'intéressantes corrélations dans les idées sur l'amour. Dans ce domaine aussi, la bourgeoisie du XVIIIe siècle joignait l'agréable au nécessaire. Elle estimait qu'il n'y avait pas d'incompatibilité foncière entre la passion sexuelle et les exigences pratiques de la paternité ou maternité dans une cellule familiale, et qu'il pouvait donc y avoir de l'amour dans le mariage – comme il pouvait y avoir du plaisir dans un emploi rémunéré.
Engageant un processus dont nous sommes encore les héritiers, la bourgeoisie européenne fit le grand pas d'admettre à la fois dans le mariage et dans le travail les satisfactions que les aristocrates avaient limitées jusque-là d'une façon pessimiste – ou peut-être réaliste – aux domaines subsidiaires de la liaison amoureuse et du passe-temps. » (pp. 124-125)
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2. « […] j'ouvris un paquet de "Moments" […] et réfléchis aux sociétés où des richesses exceptionnelles sont produites dans des domaines d'activité très peu liés à nos besoins les plus sincères et profonds, des activités où il est difficile d'échapper à la disparité entre le sérieux des moyens et la futilité des fins, et où nous sommes donc exposés à des crises de sens devant nos ordinateurs et dans nos entrepôts, des moments où nous songeons tristement à l'insignifiance de notre travail tout en respectant les bienfaits matériels qui en découlent – sachant que ce qui peut ressembler à un jeu puéril n'est en réalité jamais loin d'une lutte pour notre survie même. Toutes ces idées semblaient contenues dans un petit lot curieusement réconfortant de "Moments" gluants enrobés de chocolat. » (p. 118)
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1. « Nos ancêtres pouvaient se réjouir de la poignée de baies trouvées sous un buisson à la fin de l'été, y voyant un signe de la munificence inattendue d'un créateur divin, mais nous sommes devenus modernes quand nous avons renoncé à attendre des dons sporadiques de Ciel et cherché à rendre toute sensation plaisante immédiatement renouvelable.
On est au début de décembre et, dans une allée centrale, douze mille fraises rouges sang attendent dans la pénombre. Elles sont arrivées de Californie hier dans un avion qui a franchi le cercle arctique au clair de lune, traçant un filet d'oxyde d'azote sur un ciel noir et or. Le supermarché ne laissera plus jamais l'alternance des saisons retarder les plaisirs alimentaires de ses clients : les fraises viennent d'Israël et du Maroc en janvier et février, d'Espagne au printemps, de Hollande au début de l'été, d'Angleterre en août et de la région de San Diego entre septembre et Noël. Il n'y a qu'un délai de quatre-vingt-seize heures entre le moment où les fraises sont cueillies et celui où elles commencent à céder aux attaques de moisissure grise. Un nombre invraisemblable de personnes adultes ont été contraintes de vaincre leur paresse […] afin de satisfaire la demande en fruits rouges. » (pp. 51-52)
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