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Critique de Acerola13


Décoloniser l'esprit est un court essai tout à fait fascinant, qui fait office pour l'auteur kényan et anglophone Ngugi wa Thiong'o de manifeste pour un retour des écrivains africains à une écriture dans leur propre langue, plutôt que dans celle des anciens pays colonisateur. Décoloniser l'esprit fut donc le dernier livre écrit en anglais par son auteur, qui écrivit ensuite exclusivement en kikuyu, sa langue maternelle.

Ngugi wa Thiong'o revient sur les nombreuses restrictions imposées par les colonisateurs dans la pratique des langues africaines : interdiction totale de la parler, postes et éducation supérieure réservés à ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare ou de Molière, le débat sur l'appartenance d'un livre écrit en anglais par un auteur africain à une littérature africaine, ou anglophone...Il souligne l'impact que peut représenter l'interdiction d'une langue maternelle pour un enfant, pour lequel cette dernière, intimement liée à la transmission d'une culture, devient frappée d'une sorte de malédiction et est systématiquement dévalorisée au profit de la langue coloniale, même après les indépendances.

Pour l'auteur, une scission se produit alors entre des écrivains qu'il regroupe dans l'appellation d'une "petite bourgeoisie" qui, tout à l'écriture dans la langue coloniale, en a perdu sa capacité à exprimer réellement la culture populaire, et donc ne peut finalement être la représentante d'une littérature "africaine" réelle, mais plutôt d'une littérature écartelée entre stylistique de la langue coloniale et description d'une fausse réalité.

Ngugi wa Thiong'o illustre son propos par l'exemple de sa pièce de théâtre montée et jouée en plein air à Kamiriithu, écrite exclusivement en kikuyu, et dans laquelle se reconnaissait la population locale qui vint assister aux répétitions en suggérant telle ou telle expression.

Au-delà de la pure réflexion littéraire et de l'emprise que peut avoir une langue sur la culture, et des assertions parfois un peu trop axées sur la lutte des classes, Ngugi wa Thiong'o m'a beaucoup fait réfléchir sur notre rapport à la littérature étrangère, souvent le fait d'expatriés écrivant dans la langue coloniale (citons Chimamanda Ngozi Adichie, Mohamed Mbougar Sarr ou encore Abdulrazak Gurnah)...Comme si écrire dans cette langue était une étape obligée pour la consécration. Évidemment, on ne peut que souhaiter que chaque personne puisse écrire dans sa langue maternelle pour y apporter de sa culture et de sa manière de concevoir le monde, mais se pose aussitôt la question de la traduction et finalement de la diffusion de l'oeuvre ; si Ngugi wa Thiong'o avait commencé par écrire en kikuyu sans jamais passer à l'anglais, son très bel essai ne nous serait probablement jamais parvenu !

Un livre qui dévoile autant qu'il soulève de questions, une très chouette lecture !
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