Citations de Dominique A (83)
Des années durant, je me suis replié sur la musique, comme à l’abri. Puis des enfants m’ont dit : nous ne dansons pas sur ta musique, nous dansons sur tes mots.
"J'ai cru que j'étais né au terme d'un voyage que je n'avais pas fait, et que je ne pouvais accomplir qu'à rebours".
Je ne me suis jusqu'alors jamais dit que la mélancolie n'était pas d'une seule pièce, qu'elle pouvait puiser à plusieurs sources et que les plus souterraines n'étaient pas les moins abondantes.
Cette expérience a le mérite de m'enseigner ce qu'implique d'être un homme. Je vois se profiler le service militaire, menace lointaine, comme une séance de natation en continu.
Je ne sais pas nager, et le plongeoir s'ouvre devant moi comme sur un gouffre. Le maître nageur éloigne la perche, et me fait replonger jusqu'à extinction des larmes. Je sors de la piscine avec une rare sensation de délivrance, et l'idée que la vie normale peut reprendre ses droits pendant deux semaines. (p.36)
ALCHIMIE NÉGATIVE
Quand je l'ai pensé
tout était clair
quand je l'ai écrit
plus du tout
- rien bu pourtant-
Ce qui nous traverse nous fuit
L'or devient plomb
tant il y a loin
de la pensée à la main
VILLE UN JOUR DÉTRUITE
Il fait du bien, l'air du bout de l'avenue
sous les arbres pas même centenaires
avec la mer qui se protège
comme elle peut
De là les sous-marins partaient
seule la pierre lourde a tenu
tout le reste
a été balayé
par des milliers de bombes aveugles
La désolation
a vécu
mais il en reste encore un peu
dans les rues droites
les balustrades
les gens rares sur les grands trottoirs
et cette drole d'église
comme posée là après
Alors la tête lourde que j'ai aujourd'hui
vraiment, à côté
ce n'est rien
CERCLE
La tristesse des villes
imprime sur les gens
dont la tristesse imprime
sur les villes
Une allée de platanes
face aux murs en crépi
un silence d'impasse
et de devanture sale
Un visage ébauche une lumière
que le décor éteint
La tristesse des gens
imprime sur les villes
dont la tristesse imprime
sur les gens
BROUILLARD, D'UN TRAIN
Il n'y a plus d'eau
plus de fleuve
que le brouillard
çà et là des piquets
à demi absorbés
de vagues arbres
attestant quand même
d'un monde par en dessous
sous la nappe translucide
que traverse le train qui va
sans autre but apparent
que de tracer dans le vide
Le voile se lève
au bout d'un temps
comme on arrive au Mans
Puis à nouveau les choses
les maisons et les gens
sont engloutis
comme ça finit toujours
Mais là on le voit
on le voit vraiment
et ça ne paraît pas si terrible
pas si terrible
MARGE
Flux des gens
aux gestes pleins de certitudes
ne doutant pas
du bien-fondé de leurs pas
dans la ville
Tout le décor invite
à se perdre ou à oublier
qu'on est perdu
Se fondre ou s'extraire
pas d'entre-deux
Et moi sur un banc
traçant des signes
je me détache du flux par orgueil
ou incapacité
Cet homme
Cet homme
a une histoire
qu'il veut me raconter
Il veut sans doute
de l'argent
mais veut d'abord
que j'écoute
Il vient de loin
renié par sa famille
sa mère
ne répond plus
Il n'a nulle part
me montre des papiers
des preuves
froissées
Il a dû partir ce matin
de là où il dormait
plus possible
plus le droit
et trop d'hostilité
dans le dortoir
avec les Blancs
Il vise l'Italie
moins raciste pense-t-il
mais lui manque l'argent
Je lui en donne
et il sort de ma vie
Mais il n'en sort pas
Il y entre
figé
par le souvenir
tandis que lui bouge
bouge
- où aujourd'hui ? -
car il l'a dit, il n'a
nulle part
Et comment comprendre
ce que c'est
quand on a soi-même
quelque part
et qu'on ne mesure pas ce que c'est
d'avoir
autant
NON-PROPRIÉTÉ
Il n’est écrit nulle part
sur le sol
que des pieds ne peuvent s’y poser
La terre n’a pas de mots
pour barrer un chemin
La route accepte toute empreinte
mais ne garantit pas
qu’elle y demeure
Et nous serions
riches d’un sol ?
Riches ou pauvres
nous partons un jour
sans rien
à peine si le sol
s’en aperçoit
Ici les menaces finissent
sur un récif
On le sait pourtant
les eaux montent
Rien qu'à être
Sur mon chemin
mille êtres vivants
que je vais sacrifier dans l'heure
rien qu'à être
rien qu'à marcher
La tristesse des villes imprime sur les gens dont la tristesse imprime sur les villes.
Ligne de conduite
Pas prendre
recevoir
et ne pas se retourner
il n'a
nulle part
Et comment comprendre
ce que c'est
nulle part
quand on a soi-même
quelque part
et qu'on ne mesure pas ce que c'est
d'avoir
autant
CORTÈGE
Chaque page
tournée
c'est souvent
pour toujours
aimanté par
la page qui vient
de livre en livre
comme un cortège funèbre
jusqu'à la dernière
ligne lue
CERCLE
La tristesse des villes
imprime sur les gens
dont la tristesse imprime
sur les villes
[...]
La tristesse des gens
imprime sur les villes
dont la tristesse imprime
sur les gens
Que faire d'un jour de plus
dans une ville
que j'aime ne pas aimer ?
Marcher le sac empli
de livres que je ne lirai
peut-être pas
m'asseoir pour boire
pour égayer cette liberté
dont je ne sais plus quoi faire
enfant gâté
d'une solitude
et d'une poignée de temps
imméritée